Paroles d’artiste

Ugo Rondinone

« Je cherche une esthétique d’économie »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2006 - 726 mots

Grand faiseur d’atmosphères, Ugo Rondinone (né en 1964 à Brunnen, Suisse), en une installation calme et limpide, rythme les murs de la nouvelle galerie Almine Rech, à Paris. Vingt et un petits tableaux blancs dévoilent fragments architecturaux ou vues urbaines (« Windows Paintings », 2006). Leur répondent des sculptures étranges, mi-signes mi-objets, qui, au déroulé temporel de la peinture, ajoutent des éléments de langage structurant l’espace.

 Les titres de vos œuvres sont des dates et vous collez au dos de vos tableaux blancs un extrait de journal. Cherchez-vous à créer des éléments temporels ?
Ces œuvres sont une continuation de mes « diarystic works ». La date est celle du journal du jour où je les ai réalisées, journal que j’ai découpé et collé. C’est une façon de placer au dos la vie quotidienne ou publique, mais cela évoque aussi, pour chacun, la vie subjective, intime.

Ces peintures représentent-elles des lieux particuliers ou comportent-elles une part d’imagination ?
Tout a commencé à Vienne, où j’ai vécu dix ans. Récemment, j’ai voulu redécouvrir la ville en flânant, et j’ai fait des dessins en me demandant quel était le thème récurrent dans ce travail. Au début, c’était vraiment comme un journal intime, un croquis direct de ce que j’avais vu, mais ensuite ces dessins ont été mélangés avec d’autres, inspirés de Schiele. C’est comme un rêve diurne, qui me permet de m’isoler de la réalité.

Vous isoler vous permet-il de  dessiner à partir de ces impressions ?
Le fondement de ce travail est un moyen de passer le temps lorsque je ne veux pas vraiment exister socialement. C’est une forme de retrait des responsabilités sociales. Tout mon travail prend appui sur cette relation au temps : être le plus disponible possible à moi-même. Je n’ai pas d’assistant, je n’ai pas pris d’atelier, mon appartement devient donc une retraite où, d’une certaine façon, le temps recule. Cela permet de le ralentir.

Pourquoi le temps vous est-il si important ?
Le temps comme dimension est une chose que l’on partage avec tout le monde. La date qui enregistre tous les développements du monde est commune à tous, mais en même temps, elle est toujours un produit de la subjectivité.

Votre travail est-il toujours fondé sur la subjectivité ?
Oui, bien sûr, mais j’aime y insérer des archétypes, comme la fenêtre, l’arbre ou le masque.

Dans ces peintures sont présentes des vues de villages, de rues qui ne se situent pas à Vienne.
Ce sont des vues de Krumau, la ville où Schiele a vécu quelque temps. Quand j’ai commencé ce travail, il y avait une exposition Schiele à l’Albertina Museum, à Vienne. J’ai essayé de reproduire certaines de ces vues.

Votre trait est souvent de facture très simple…
Certains dessins sont plus géométriques que d’autres. Il n’y a pas vraiment de règle, hormis l’usage d’une technique très basique, le crayon sur gesso. Cet apprêt me donne la possibilité de toujours pouvoir retravailler le dessin et de reprendre les formes. Par ailleurs, je cherche sûrement une esthétique d’économie.

Avez-vous envisagé l’accrochage comme une promenade ?
Pendant l’installation, j’ai vraiment pensé à l’espace entre les peintures. Je voulais maintenir une distance entre elles. Comme les formats sont différents, cela donne un rythme à l’accrochage.
L’exposition, et c’est important, commence avec un zéro en métal dans lequel est placé de l’encens qui fume (On Butterfly Wings, 2006). Quant aux sculptures en plâtre, comme les peintures, elles devaient être les plus minimalistes et classiques possible, pareilles à un cliché du classicisme. J’ai créé huit modules miniatures avec lesquels j’ai joué comme avec des Lego pour les assembler et élaborer le modèle des grandes. Les sculptures sont posées sur des socles en bois peints en blanc sur lesquels j’ai écrit des poèmes. Ceux-ci ne délivrent pas vraiment de message, plutôt un sens crypté. Ce sont des choses que j’écris et qui parfois deviennent des titres d’œuvres.

L’opposition entre le petit format des tableaux et l’échelle des sculptures est très marquée.
J’aime le petit format en peinture, car il est plus facile à rencontrer, plus intime. On y investit la tête alors qu’en présence d’un grand format, ce sera plutôt le corps. En outre, la sculpture s’offre comme un guide et crée comme une danse autour de l’espace.

UGO RONDINONE. ON BUTTERFLY WINGS

Jusqu’au 7 octobre, galerie Almine Rech, 19, rue de Saintonge, 75003 Paris, tél. 01 45 83 71 90, www.galeriealminerech.com, tlj sauf lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Ugo Rondinone

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