Saint-ouen L’aumône - « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. » Par cette maxime célèbre, La Rochefoucauld rappelait que l’homme butte sur deux limites : l’immensité du cosmos et l’énigme de sa propre disparition.
Depuis une quinzaine d’années, la première obsède Félicie d’Estienne d’Orves. Cette fondue d’astrophysique assure pourtant n’avoir aucune envie d’aller dans l’espace. Ses paysages cosmiques cherchent plutôt à sonder la distance qui nous en sépare. Et ce précisément grâce au médium qui permet d’en prendre la mesure : la lumière. « Ce sont les échelles incommensurables qui m’intéressent », explique-elle en parcourant les salles de l’exposition « Khépri, sortir au jour » à l’abbaye de Maubuisson (95). Jusqu’au 3 septembre 2023, elle y présente un parcours d’œuvres in situ. Son obsession pour le cosmos s’y allie à une réflexion sur la mort et la renaissance. Le lieu y invite forcément : fondé au XIIIe siècle par Blanche de Castille pour accueillir une communauté de moniales cisterciennes, il a longtemps été dédié à la prière. Pourtant, la course du soleil sur les vitraux lui a d’emblée évoqué un autre culte : celui du dieu Rê dans l’Égypte antique. Dans cette civilisation, la vie humaine et le mouvement des astres sont indissociables. Ainsi, Rê meurt chaque soir quand le soleil se couche et renaît chaque matin à l’aube sous les traits d’un scarabée, Khépri. Ce cycle quotidien innerve aussi les rites funéraires : les Égyptiens des anciennes dynasties couvraient les défunts d’or pour mieux les aider à traverser le royaume des morts. Le but de ce voyage ? « Sortir au jour ». Autrement dit, accéder à l’immortalité. Dans les salles dépouillées de l’abbaye de Maubuisson, Félicie d’Estienne d’Orves conduit autour du mythe un parcours qui va de l’ombre à la lumière. Dans la salle du parloir, une lumière rasante balaie un agencement de cubes et de sphères posés sur deux plateaux blancs. Les ombres s’y allongent et dessinent un paysage spectral qui annonce le panorama offert dans la salle suivante : une éclipse solaire. Le phénomène ranime bien sûr l’idée de disparition. Sur l’un des murs, des photogrammes solarisés en Égypte viennent offrir un contrepoint à ce paysage grandiose. Félicie d’Estienne d’Orves aime ces jeux d’échelle, qui confrontent l’infiniment petit à l’infiniment grand. D’ailleurs, dans la salle suivante, divers miroirs suggèrent que les deux se confondent : l’homme est à l’image du cosmos, puisqu’il est pris lui aussi dans un cycle infini de destruction et de renouveau. Ainsi, le parcours de l’exposition s’achève sur une boule de verre soufflé où est enclose une feuille d’or. « La naissance d’une étoile », assure l’artiste. Si Félicie d’Estienne d’Orves rejoue les rites funéraires antiques à l’abbaye de Maubuisson, c’est parce que les astres nous aident, selon elle, à appréhender notre condition. De son aveu, l’exposition est une réponse au transhumanisme. Quand celui-ci voudrait abolir la mort, l’artiste nous invite au contraire à la sublimer. Contre la prétention contemporaine à « augmenter » nos corps, elle défend l’incarnation, donc la finitude. Condition sine qua non pour « sortir au jour ».
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Sublimer la mortalité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Sublimer la mortalité