Photographie

Stan Douglas, entre mémoire et fiction

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 812 mots

Le Carré d’art à Nîmes et le Centre culturel canadien à Paris s’associent pour présenter les séries photographiques, documentaires, précises, archi séduisantes, fortes… et trompeuses du Canadien.

PARIS - NÎMES - Coup double pour Stan Douglas : l’artiste canadien déjoue l’attente de ceux qui connaissent ses grandes installations vues en Amérique du Nord et en Europe mais bien peu en France, et montre de la photographie au Centre culturel canadien à Paris comme au Carré d’art à Nîmes. À Paris, l’exposition « Abandon et splendeur » pourrait être sous-titrée « Photographies 1992-1999 », quand le Carré d’art donne simplement : « Photographies 2008-2013 ».

Stan Douglas a souvent montré des installations et des dispositifs d’exposition complexes, portés par une sophistication des moyens et une exigence référentielle, mais il soutient que la photo est toujours demeurée au centre de sa pratique, en parallèle aux installations et films. Les expositions en témoignent, en proposant un parcours dans des séries d’images de nature très différente, mais cohérentes. On a beau jeu de reconnaître un esprit Vancouver quand on sait que l’artiste vit et travaille dans la grande ville de l’ouest du Canada. Pourtant le paysage présenté à Paris signale un aspect de cette appartenance, tandis que Nîmes expose la photographie mise en scène qu’un Jeff Wall a su imposer.

À Vancouver, la photographie s’est imposée en défiant le tableau, tout en gardant un lien fort avec le paysage. Même à l’échelle des relativement petits formats réunis au Centre culturel canadien, l’image déploie une théâtralité de l’espace, par les cadrages, la plénitude de la lumière et des couleurs. Plus qu’une image léchée, c’est cette transitivité de l’image photo qui préoccupe Douglas : il y a là un souci de la description, jusqu’à une forme de naturalisme qui cependant ouvre vers un possible récit, une dimension narrative implicite, sous-jacente ou elliptique, vaguement inquiétante. Surtout, ce n’est pas tant une mythique nature sauvage du grand Ouest qui apparaît, mais, dans l’ombre des grands pins, un monde habité. Car les grands espaces recèlent les signes d’activités humaines, présentes et passées. L’industrie en déshérence, les bâtiments abandonnés livrent un écho d’une nostalgie noire, désabusée. L’artiste traite ces non-lieux au travers de cadrages classiques et à l’aide d’une précision quasi documentaire dans la définition, sur le ton délibérément ambigu de la « belle photo », qui se révèle un piège ou du moins un paradoxe. De même pour les images de Detroit (série de 1999) : la grandeur déchue de la ville du Michigan n’est jamais pittoresque, mais sa violence latente n’en est que plus sensible.

L’invention d’un double, photoreporter
À Nîmes, plusieurs séries cohabitent, faisant apparaître la démarche de l’artiste. Ses « Crowds and Riots » restituent des scènes sociales, ainsi, sur le mode de l’instantané journalistique, celle d’une émeute qui a marqué Vancouver en 1971. Mais celle-ci en particulier est le fruit d’un travail d’ordre cinématographique avec décor de studio, acteurs, soins méticuleux de la reconstitution historique. Elle excède alors le document, et fictionnalise la scène par son insistance sur les effets de vérité. Cet aller et retour entre fiction et objectivité se retrouve dans les neuf pièces de la salle « Disco Angola », qui associe l’évocation de l’Angola des années 1970 à celle de la vie new-yorkaise de la même époque : ce sont les personnages, leurs poses, leurs corps qui font le pont entre deux mondes que tout sépare. La fiction se glisse en outre dans les récits qui entourent les œuvres.

La série centrale composée d’une quarantaine d’œuvres qui se déploie sur plusieurs salles, dite « Midcentury Studio », frappe par la puissance de stylisation d’une imagerie en noir et blanc et d’un univers qui renvoient à la photographie de presse américaine des années 1950-1960. Douglas s’est inventé à cet effet un double, un photoreporter, personnage qui lui permet d’assumer, bien au-delà du pastiche ou de l’exercice de style, un regard distancié sur l’Amérique d’alors comme sur notre imaginaire photographique, relié ici à Weegee, au style magazine… Les images, qui mentionnent une date dans leur titre (1947, 1951…), ont en effet été réalisées en 2010 ; Douglas y entretient là encore ce qu’il faut de distance pour déborder le cliché, révélant silencieusement les ambiguïtés de la mémoire, la fragilité du souvenir, la séduction de la nostalgie, que la clarté des images prend à contre-pied. Bref, sous l’apparence d’une puissance visuelle, c’est une position singulière et forte que défend Douglas, à travers cette manière documentaire à la séduction un peu amère.

Abandon et splendeur,

jusqu’au 17 janvier 2014, Centre culturel canadien, 5, rue de Constantine, 75007 Paris, tél. 01 44 43 21 90, tlj sauf week-end 10h-18h.
Commissaire : Catherine Bédard
Nombre d’œuvres : 35

Photographies 2008-2013,

jusqu’au 26 janvier, Carré d’art, place de la Maison-Carrée, 30000, Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi 10h-18h, www.carreartmusee.com
Commissaire : Jean-Marc Prévost
Nombre d’œuvres : 55

Légende photo

Stan Douglas, Hockey Fight, 1951, 2010, tirage numérique sur papier fibre contrecollé sur aluminium Dibond, 109,2 x 208,3 cm. Courtesy de l’artiste, David Zwirner Gallery, New York et Victoria Miro Gallery, Londres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Stan Douglas, entre mémoire et fiction

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