Paris

Sonorités autonomes

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2012 - 669 mots

L’Espace culturel Louis Vuitton s’intéresse au son engendré par l’expérimentation formelle à travers une exposition collective qui implique souvent la participation du visiteur.

PARIS - Munis d’un casque électromagnétique, les visiteurs de l’Espace culturel Louis Vuitton, à Paris, sont invités au détour d’un corridor à pénétrer à l’intérieur d’étranges amas de câbles circulaires, bruts et sans aucun caractère esthétique particulier, suspendus depuis le plafond. Au nombre de dix, chacun révèle alors une ambiance sonore, ou, plus précisément, évoque un paysage. Car au-delà d’une apparence abstraite et déconnectée de la réalité des choses, Christina Kubisch aime à dévoiler une part de l’invisible ou du non perceptible dans ses installations. Avec Cercles magnétiques (2011), elle est allée capter dans des espaces publics (une station de métro, la proximité des vitrines du magasin ou d’un panneau publicitaire lumineux…) des sonorités du quotidien pourtant inaudibles à notre ouïe. Elle en propose ici non une retranscription mais une recomposition aléatoire engendrée à partir de cette matière brute par les déplacements de chaque spectateur ; une plastique spatiale qui traverse les oreilles en proposant un jeu d’évocations infini.

C’est tout l’intérêt de l’exposition « Anicroches. Variations, choral et fugue », organisée par Fabienne Fulchéri, par ailleurs directrice de l’Espace de l’Art concret à Mouans-Sartoux, que de ne pas être une énième exposition ayant le son pour alibi ou objet, mais plutôt de se positionner sur le registre de l’expérimentation formelle ou plastique trouvant dans le son un débouché plus qu’une finalité. Une manière d’envisager de quelle façon la sonorité contribue à la définition d’un espace tout en établissant un rapport intime au corps.

« Jouer la pièce »
L’accrochage se visite ainsi telle une suite d’expériences, dont les répercussions visuelles sont souvent associées à l’idée de paysage sonore. C’est le cas pour Stéphane Vigny, qui en remplissant une pièce de cymbales sur pied interdit au spectateur un contact direct avec l’œuvre autre que visuel, le laissant regardeur et non acteur des mouvements de vibration aléatoires qui parcourent l’installation (Sans titre, 2011).

À l’inverse, le corps est activement sollicité par Laurent Saksik dans une proposition dont la structure triangulaire faite de verre et de métal évoque un pavillon déshumanisé. Inspiré par le thérémine, Lyre (2011) s’active au passage et à la proximité du corps, redoublant d’intensité en fonction du positionnement et des mouvements de chacun. Outre qu’elle nécessite une présence corporelle afin de « fonctionner », elle joue avec l’espace en permettant d’appréhender la manière dont celui-ci sonne et résonne. Interagissant avec l’œuvre, le visiteur devient là instrumentiste ou musicien, de même qu’il est sollicité par Thierry Mouillé dans un autre pavillon, constitué celui-ci d’un réseau d’instruments en cuivre (Brass Space, Pavillon 1, 2011). Quinze embouts dispersés sur la structure invitent à « jouer la pièce », dans des potentialités infinies. Surtout, c’est sa structure formelle qui va donner naissance à certaines typologies sonores et non la nature des instruments employés qui en a déterminé l’aspect. La pièce affirme par là le principe d’une matérialisation qui devient génératrice de sonorités.

Silencieuse est en revanche la proposition de Rémy Jacquier, qui s’intéresse à un autre type de pavillon, auriculaire celui-ci. Adoptant le format d’une maquette d’architecture partiellement ouverte afin de laisser voir un intérieur, sa sculpture Pavillon S.T. (2003) consiste en une représentation du système auditif, telle qu’on en trouve dans les ouvrages d’anatomie. Ce faisant, l’artiste brouille non seulement la nature du langage formel des choses en transposant ce qui relève du corps en vocabulaire architectural, mais également les échelles en amplifiant largement l’organique.

Finalement, au-delà des expérimentations formelles et sensorielles, tout dans cette exposition fonctionne comme si la principale interrogation portée par les œuvres tenait dans un questionnement de leur complète autonomie à l’endroit des principes et outils qui en ont permis la naissance.

ANICROCHES. VARIATIONS, CHORAL ET FUGUES

Commissaire : Fabienne Fulchéri, directrice de l’Espace de l’Art concret
Nombre d’artistes : 9

Jusqu’au 19 février, Espace culturel Louis Vuitton, 60, rue Bassano, 75008 Paris, tél. 01 53 57 52 03,  » www.louisvuitton.com/espaceculturel/, tlj 12h-19h, dimanche 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°361 du 20 janvier 2012, avec le titre suivant : Sonorités autonomes

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque