Samuel Keller personnifie Art Basel, la plus importante foire d’art moderne et contemporain au monde, qu’il dirige depuis quatre ans. Parcours d’un successful boy qui inaugure sa 3e foire à Miami.
Intronisé par le magazine Art and Auction dans le cercle restreint des figures du pouvoir, le directeur de la Foire de Bâle, Samuel Keller, est la coqueluche des médias. Aucun organisateur de foires n’a jamais fait l’objet d’un tel one-man show. Sa silhouette identifiable entre toutes et sa sociabilité n’y sont pas étrangères. « On ne voit pas l’effort d’une équipe, déplore pourtant l’intéressé. Je ne donne jamais mon avis sur un film ou un livre. Je fais tout pour ne pas être une célébrité. Les médias veulent des stars pour les détruire. Il y a des mécanismes contre lesquels on ne peut rien faire. » Des propos bien patelins pour cet as de la communication et du marketing ! Après avoir capitalisé sur son image, la foire changerait-elle son fusil d’épaule ? « Le problème avec la personnification, c’est que, tant que le marché va bien, Samuel est la star. Mais si le marché s’effondre, on cherchera un coupable, et Samuel pourrait figurer en tête de liste », lance un observateur.
Petite main d’Art Basel
Il faut se lever de bonheur, ou plutôt veiller tard, pour détourner Samuel Keller de son discours calculé au millimètre près. S’il n’était pas aussi sympathique et énergique, on dirait qu’il est le roi de l’esquive. « Il est difficile de juger Samuel car son métier est d’être agréable avec tout le monde. Il danse sous contrôle, est saoul sous contrôle. C’est un e-robot, un personnage du troisième millénaire », ironise un galeriste. Sa personnalité ne semble pourtant pas à claire-voie. « Son côté sympathique est bien réel. Parfois la stratégie est intimement liée à l’exercice d’une profession. Ce n’est pas condamnable et ça n’indique pas de masque. Samuel n’est pas un sournois », défend la codirectrice de la galerie Air de Paris, Florence Bonnefous.
Elliptique sur sa vie, Samuel Keller en livre seulement quelques bribes. Né à Bâle, il suit la migration de ses parents ouvriers dans un kibboutz en Israël. Il loge ensuite chez le directeur du plus grand hôpital arabe d’Israël, puis revient en Suisse, d’abord à Lausanne puis à Bâle. Après des études de philosophie et théorie de l’art à l’université, il navigue entre un magazine artistique et différentes galeries avant de collaborer en 1992 avec une agence de communication en architecture. Il organise des soirées privées dont la réputation parvient aux oreilles Lorenzo Rudolf, alors directeur de la Foire de Bâle. Le salon, Keller le connaît déjà au fil des boulots d’été. Il a même servi de petite main pour une grande galerie française ! « Samuel est le meilleur vendeur que je connaisse », convient Lorenzo Rudolf. Débarqué en 1994 au service communication de la manifestation, « par hasard » comme le disent toujours les détenteurs de postes stratégiques, ce bosseur invétéré est promu l’année suivante responsable du service. Il met en place une nouvelle identité, la marque « Art Basel », et un logo. La griffe Keller, ce sont surtout les fêtes qui dégourdissent la bourgade helvétique. « Il ne s’arrête jamais aux heures de bureau. Il participe à toutes les fêtes, aux dîners. Il maîtrise bien l’une des données du marché de l’art, cette barrière floue entre privé et public, travail et loisir », souligne Florence Bonnefous. Promu directeur de la foire après le départ de Lorenzo Rudolf, en 2000, il hérite d’un passé sans passif. Le salon est à son sommet, et le marché de l’art contemporain euphorique, autant de données qui lui simplifient la tâche. Plus communicant que bâtisseur, Samuel Keller comprend que tout est perfectible, des parois des stands aux à-côtés, comme les récents forums de discussion « Art Basel Conversations ». « Il sait offrir une image professionnelle et glamour, donner l’impression qu’il y a du nouveau à Bâle, même quand il n’y en a pas », s’amuse un marchand. Certains lui reprochent de s’approprier trop vite les idées des autres, ainsi des foire et secteur Art Basel Miami Beach et « Art Unlimited », déjà en gestation du temps de Lorenzo Rudolf. La plupart de ses proches saluent toutefois son pragmatisme et sa diplomatie. « Il est très ouvert aux propositions et les options sont prises de manière directe, rapide. Il est toujours à flux tendu », remarque l’artiste et commissaire Simon Lamunière. Il a aussi prouvé sa capacité à gérer une crise en annulant la première édition d’Art Basel Miami Beach aux lendemains des attentats du 11-Septembre. Un accroc dans la mécanique et une perte sèche, dissipés ensuite par le succès de la manifestation, autopromue meilleure foire américaine.
Profondément bâlois
On reproche souvent à Art Basel de voir la paille dans l’œil des galeries étrangères et de ne pas faire suffisamment le ménage dans les enseignes suisses. « Il est nécessaire qu’il y ait des galeries locales, même si leur qualité n’est pas au même niveau que les autres. Elles font le lien avec la scène artistique locale et la municipalité. Mais, il y a quelques années, on a renvoyé l’une des galeries fondatrices. Quelle foire oserait le faire ? », botte en touche Samuel Keller. Et d’ajouter : « Mon goût influence le design de la foire, la communication, l’atmosphère. Les gens du comité ne sont pas mes copains et ont souvent des idées très différentes des miennes. Je ne veux pas qu’il y ait une clique “Samuel Keller et ses copains” qui choisisse les exposants. J’ai de très bons amis qui ne sont pas admis à la foire. »
Le contingent hexagonal joue les mal-aimés. Lorsque la foire a adressé en juin une lettre aux exposants pour leur proposer la suppression des documents internes en français, le village gaulois y a vu une manœuvre d’ostracisme. « Les Français sont avec les Autrichiens les seuls à compter en permanence leurs troupes, remarque Samuel Keller. Nous avions laissé le choix entre l’anglais, l’allemand et le français. Dans beaucoup d’autres pays, on n’a le choix qu’entre l’anglais et l’anglais. Nous avons précisé que si on renonçait à traduire les documents internes en français, on pourrait investir dans une communication extérieure supplémentaire en espagnol. Personne n’a jamais songé à stopper la communication extérieure en français. C’est un réflexe très français de croire tout de suite au pire ! »
Vaguement collectionneur, secret sur ses goûts qu’on devine très contemporains, Samuel Keller se refuse à acheter auprès de ses clients, autrement dit les meilleures galeries du monde. Plus concrètement, il mande ses amis, pour éviter que son nom ne soit récupéré pour forcer une adhésion.
Quant à l’attachement de Samuel Keller à la ville de Bâle, il ne s’est pas émoussé. « Il est arythmique par rapport à la ville tout en étant profondément bâlois. Les Bâlois sont bâlois avant d’être suisses. Pour eux, le sentiment d’avoir fait quelque chose pour leur ville est aussi important que la réussite internationale », observe son ami Éric Bart, responsable de la programmation du théâtre de l’Odéon à Paris. Ce port d’attache est d’autant plus supportable qu’il n’y passe que la moitié de l’année. Le reste du temps, il prêche la bonne parole auprès des collectionneurs. « J’aime que les choses se fassent vite et j’ai le pouvoir de faire accélérer les choses. Je n’ai pas le pouvoir d’empêcher la carrière d’un artiste ou de freiner le succès d’un galeriste. Ça ne m’intéresse pas. Le pouvoir qui me pourrait me manquer, c’est celui de rendre les choses possibles », confie Samuel Keller. Malgré la fréquentation du gotha artistique et un tapis de courtisans, il semble garder la tête froide. Objecteur de conscience, il doit s’occuper une fois par an de grabataires dans les hôpitaux suisses. Une B.A. qui, d’après Éric Bart, lui permet de « se nettoyer l’esprit ». Et de résister, tant bien que mal, au syndrome d’Icare.
1966 Naissance à Bâle. 1985-1990 Études de philosophie et théorie de l’art à l’université de Bâle. 1992 Responsable de la communication de Basel Exhibition. 1995 Responsable de la communication d’Art Basel. 2000 Directeur d’Art Basel. 2002 Première édition d’Art Basel Miami Beach.
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Samuel Keller
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°203 du 19 novembre 2004, avec le titre suivant : Samuel Keller