La 8e édition de la Biennale internationale de design de Saint-Étienne a ouvert ses portes sur le thème de « L’empathie ou l’expérience de l’autre ». La Cité du design, les musées et les galeries de la ville et ses alentours accueillent une cinquantaine d’expositions où se déploient dispositifs high-tech, objets intelligents et autres propositions plus ou moins convaincantes.
Saint-Étienne - La Biennale internationale de design de Saint-Étienne se déguste glacée. En théorie, le passage de l’automne au printemps devait augurer d’un climat plus clément. Raté ! C’est par une température polaire qu’Aurélie Filippetti a inauguré, mercredi 13 mars, la 8e édition. La ministre de la Culture en a profité pour dire son choix « de donner une place plus importante au design » au sein de son ministère, démarche initiée « en relation » avec son collègue du Redressement productif, Arnaud Montebourg, « qui partage avec [Aurélie Filippetti] cette conscience de ce que le design peut apporter aux entreprises françaises dans la compétition internationale ». « Nous travaillons actuellement, a-t-elle précisé, à la mise en place de ce qu’Arnaud Montebourg a appelé l’Équipe de France du design, qui nous apportera conseils et expertises opérationnels. Nous en reparlerons bientôt… » Affaire à suivre donc. Thème de l’édition 2013 : « L’empathie ou l’expérience de l’autre ». Bref, un vaste chapeau sous lequel se rassemblent plus d’une cinquantaine d’expositions, déployées non seulement à la Cité du design, mais aussi dans des musées ou galeries, à Saint-Étienne et dans quelques villes alentour. Tous les domaines sont balayés, du projet d’étudiant à l’objet édité. Ce qui pose d’ailleurs souvent le problème du statut de l’objet présenté : le visiteur ne sait s’il s’agit d’une recherche, d’un prototype ou d’un produit commercialisé. Il y a pléthore – et en particulier, cette année, une flopée de projets prospectifs –, donc fatalement à boire et à manger.
Noyés sous l’hyper information
C’est fou le nombre d’articles qui sont comme des couteaux suisses, version 2.0. On appelle cela « l’omnifonctionnalité ». Pour preuve, ces objets montrés dans l’exposition « Traits d’union », cornaquée par l’agence Elium Studio et Magali Moulinier. On y trouve la dernière vague d’objets high-tech et fatalement « connectés ». Certains séduisent, d’autres beaucoup moins. Sensible à la pression des doigts, le stylo numérique Inkling peut illico retranscrire sur ordinateur la prise de note manuelle de son utilisateur. Tout aussi étonnant est le clavier sensitif Touch Cover, à clipper sur la tablette tactile Surface (Microsoft). La tactilité est décidément en vogue, car d’autres objets requièrent désormais des caresses pour s’activer, comme le casque audio Zik (Parrot) de Philippe Starck. Il suffit de glisser son doigt sur l’écouteur droit, verticalement pour régler le volume sonore et horizontalement pour passer d’un titre à un autre. L’important, semble-t-il, est de proposer à l’utilisateur une masse d’informations et/ou de fonctions supplémentaires ou, plus exactement, de lui en donner la possibilité, quitte à ce qu’il ne sache qu’en faire. Quantified Self, mouvement né outre-Atlantique, en 2007, propose de « s’automonitorer », autrement dit de permettre à l’usager « de mesurer, d’analyser et de partager ses données personnelles ». D’où cette myriade de produits truffés de « senseurs ». Grâce à ses Nike HyperDunk, un émetteur Bluetooth et des capteurs de pressions et de mouvements répartis dans les semelles, le basketteur glanera des mesures sur son équilibre et sa stabilité. La « réalité augmentée », comme son nom l’indique, « augmente » la réalité de l’utilisateur. En clair : il en apprend plus que ce qu’il voit de ses simples yeux. Avec son masque Air Wave (Oakley), le skieur peut connaître immédiatement la longueur du saut qu’il vient de réaliser et à quelle vitesse il l’a effectué, voire le positionnement exact de ses « lattes » lorsqu’il tourbillonne en l’air. Certes, la réalité n’est parfois pas suffisante, mais, hormis un sportif de haut niveau, qui a vraiment besoin de telles informations ? L’overdose n’est pas loin. Le multicuiseur Cookeo (Seb) est une vraie « usine à gaz », arborant un ordinateur de bord qui réalise pour vous pas moins de 100 recettes. Quoi qu’il en soit, si l’utilisateur manque de matière grise, autant que l’objet soit « intelligent », dixit un marketing qui peut parfois faire avaler des couleuvres aux designers.
Le pire et le meilleur
Dans un autre registre, ce sont les designers qui peuvent parfois prendre les usagers pour des… pigeons ! Ainsi, dans l’exposition « The Dream Team », qui regroupe cinq écoles de design « d’exception », un groupe d’étudiants du Sandberg Instituut d’Amsterdam, en quête de moyens de communication alternatifs pour ne pas utiliser de mails ni de téléphone portable pendant un mois, n’a pas trouvé mieux que d’user de… pigeons voyageurs. Révolutionnaire, non ? Au rayon gastronomie prospective, viande de cheval ou pas, il y a lieu de s’inquiéter et certaines propositions donnent comme une irrépressible envie de faire des réserves. Entre l’inhalateur énergétique RE 2013 (Philippe Starck), microbombe de particules sèches « ayant le même impact qu’une boisson énergétique », et WikiCells, aliments dont l’emballage est comestible (François Azambourg), notre estomac n’hésite pas. Pis, avec le Nano Wine (Koert van Mensvoort, Hendrik-Jan Grievink et Ruben Daas), on sirote le vin de son choix : des nanocapsules de saveur intégrées dans le liquide permettent, une fois la bouteille passée quelques secondes au micro-ondes (sic !), d’obtenir un Montepulciano, un Romanée-conti, voire un Mouton-Rothschild de 1945. Bon appétit ! Pourtant, rien ne sert de désespérer. Ainsi, le designer anglais Sebastian Bergne a, dans la présentation « Design with Heart », sélectionné des objets « qui, de par leur histoire, leur symbolisme, leur processus de fabrication, leur capacité à réunir les gens… peuvent devenir importants pour leur utilisateur ». Po-Chih Lai a inventé un compartiment intermédiaire pour la cafetière traditionnelle italienne qui permet, dans le même temps, de faire mousser le lait. Mathilde Guillerot, elle, a dessiné Nino’s Bereavement Toobox, un jeu pour enfants qui, dans le cadre de la perte d’un proche, sert d’accompagnement à la thérapie.
Aux sources du design
Dans son exposition « Nano-ordinaire », Matali Crasset, elle, veut « changer notre relation à l’énergie » qu’elle trouve, pour l’heure, « trop dépendante ». D’un côté, elle utilise la maison comme un « filtre » pour sélectionner le trop plein d’informations venues de l’extérieur. De l’autre, à l’intérieur, elle propose d’user de l’énergie produite par nos propres actions quotidiennes. Ainsi, devant un ordinateur, les micromouvements de l’utilisateur sur son siège, de ses mains et de sa souris, produiraient de l’énergie piézoélectrique qui permettrait une autonomie énergétique de ses outils informatiques. Dans l’ancienne brasserie Mösser transformée en lieu d’exposition, l’association Greenhouse a demandé à vingt artistes et designers de façonner in situ un objet reproductible en plâtre. La présentation, intitulée « La Manufacture », comprend donc une « unité de production » qui, le temps de la Biennale, produit les pièces sous nos yeux (en vente jusqu’au 31 mars, entre 15 et 100 €). Le designer Gilles Belley a conçu Never Ending Molding, œuvre constituée de plusieurs strates décalées et coulées l’une après l’autre. Le duo néerlandais Tejo Remy et René Veenhuizen a esquissé Le Pli sur le mur, étagère gondolée tel du caoutchouc. Enfin, l’artiste Michel Blazy, lui, a réalisé un Nid pour une reine, histoire de créer sa propre fourmilière d’intérieur. On est ici à mille lieues du monde hyper connecté et c’est plutôt reposant !
Directrice de la Biennale 2013 : Elsa Francès Nombre d’expositions : plus de 50
Jusqu’au 31 mars (prolongation pour certains), Cité du design, 3, rue Javelin-Pagnon, 42000 Saint-Étienne, tél. : 04 77 49 39 00, programme complet sur www.biennale-design.com
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Saint-Étienne à l’heure du design
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°388 du 29 mars 2013, avec le titre suivant : Saint-Étienne à l’heure du design