Une piscine en plastique aspirée vers le plafond (Bassin, 2006), un carré de bois où deux ballons propulsés par des ventilateurs se livrent à une course sans fin (Kanal, 2006), une table où une cigarette attend d’être allumée par un bâton de dynamite (Table fumeur, 2005), un pommier soumis à une traction permanente sous l’effet d’une corde et d’un moteur (Zittern, 2006)… En quelques œuvres récentes Roman Signer, délivre au Centre culturel suisse, à Paris, une leçon de sculpture concentrant les caractéristiques de son travail.
En visitant l’exposition, et dans votre travail en général, on perçoit comme une opposition entre ce qui se passe et un sentiment d’attente de ce qui pourrait advenir…
Je travaille avec le temps et il y a chez moi trois choses importantes : celles, immédiates, qui passent devant vos yeux, tels les ballons (Kanal), celles qui peuvent se produire, comme la Table fumeur, et celles passées, que l’on retrouve dans mes films. Le passé est important car dès que vous faites quelque chose, que vous parlez, c’est déjà le passé, non ? J’aime aussi le futur, l’idée que ça peut arriver ou non. On pense toujours que je ne fais que des installations spectaculaires, des explosions, mais ce n’est pas vrai. J’affectionne aussi beaucoup ces tranquilles sensations d’attente.
Pourquoi ?
C’est optimiste, vous ne croyez pas ? Vous avez le choix. Par exemple, lorsque vous recevez un paquet, est-ce que vous l’ouvrez tout de suite ? Moi non, parfois j’attends une heure. Attendre pour savoir ce qu’il y a dedans crée une joie. Attendre Noël est une plus grande joie que le jour lui-même… qui est déjà passé. Ouvrir les paquets et regarder, c’est déjà triste pour moi.
Vous utilisez souvent des forces contraires voire antagonistes. Est-ce pour dynamiser l’œuvre ?
Je ne peux pas l’expliquer de manière théorique, mais j’aime les forces, qu’elles soient puissantes ou faibles. J’aime travailler avec.
Vous avez besoin que les forces se confrontent ?
Oui, et qu’elles changent aussi. Confrontation, changement, transformation… il y a souvent un passage d’une forme à une autre. Je ne veux pas seulement détruire des choses, c’est le changement d’état qui m’intéresse.
Puisque le temps est très important pour vous, diriez-vous que vous créez des événements sculptés ?
Je crée des situations sculpturales. Que je fasse des objets, des installations ou des films, c’est toujours un problème sculptural dans l’espace.
À propos d’Installation vidéo (2006), où vous superposez des films d’actions passées avec une lecture actuelle faite en langage des signes, s’agit-il de réactualiser vos anciennes performances ?
Ces vieux films reçoivent, avec cette femme qui les explique en langage des signes allemand, une nouvelle perspective. Ce langage varie selon les langues. Il est pour nous très drôle de le regarder dans ce contexte. J’ai demandé à cette femme si ça l’était aussi pour les sourds. Elle était fâchée et m’a répondu que pas du tout. Pour eux, c’est tragique, c’est la vie !
Avec Zittern ou Kanal, des œuvres qui sont comme un déroulé sans fin, faites-vous une recherche sur l’absurde et le dérisoire ?
Je ne trouve pas que ce soit absurde. On parle toujours de l’absurdité chez moi…
Vous n’êtes pas d’accord ?
Non parce que pour moi c’est sérieux. C’est étrange, ce sont des recherches, et elles sont importantes. C’est peut-être irrationnel pour le spectateur mais pas pour moi.
Sur quoi porte l’essentiel de vos recherches ?
Je n’ai pas de programme strict. J’ai un sentiment, une idée dans mon lit, dans ma baignoire… et je veux essayer de voir si ça fonctionne. Par exemple pour Bassin, je trouvais intéressant de savoir si ça pouvait fonctionner. J’ai été très étonné de voir que oui, ce fut une surprise ! Je suis un peu joueur aussi.
Une part de la forme que prend votre œuvre résulte donc du hasard ?
Il y a beaucoup de hasard mais pas seulement. Je ne veux tout de même pas être trop chaotique. Je souhaite garder une certaine forme, mais je laisse toujours au hasard la possibilité de se manifester.
Vous ne cherchez donc pas à tout contrôler ?
Non. J’aime quand les éléments ont aussi un langage et se manifestent. Je ne veux pas tout faire moi-même. Je fais une construction et je laisse une ouverture pour ces forces. C’est comme une trappe pour la nature.
Y a-t-il de votre part une volonté manifeste de faire rire ?
Il est vrai que les gens rient beaucoup, mais ce n’est pas vraiment intentionnel. Je ne me dis jamais : « Je vais créer quelque chose pour que les gens éclatent de rire. » Ça vient naturellement. Finalement pourquoi pas ? Je ne fais pas de cabaret, mais rire fait du bien.
Du 10 octobre au 12 novembre, Centre culturel suisse, 32-38, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 44 50, www.ccsparis.com, tlj sauf lundi et mardi 13h-20h, jeudi 13h-22h.
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Roman Signer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°244 du 6 octobre 2006, avec le titre suivant : Roman Signer