Deux géants de la photographie disparaissent.
Paris, Inverness (île du Cap-Breton, Canada). Peter Lindbergh et Robert Frank se sont éteints à six jours d’intervalle, respectivement les 3 et 9 septembre. Le premier à l’âge de 74 ans, le second à celui de 94 ans.
Ce n’est pas seulement une génération qui sépare ces deux géants de la photographie. L’auteur du livre mythique Les Américains et le grand photographe de mode ont évolué dans des mondes distincts, étrangers l’un à l’autre. Pourtant chacun a bouleversé à sa manière les codes de la représentation et apporté une vision affranchie, subversive, porteuse de sens et de sensations. Leur influence traverse le temps, tandis que leur vie exprime une méfiance, voire un rejet pour Robert Frank, de la starification et plus généralement de tout ce qui pouvait entraver leur liberté de création.
Né à Zurich en Suisse le 9 novembre 1924 dans une famille juive aisée, Robert Frank a trouvé, lors de ses débuts d’apprenti photographe, dans les images de Jakob Tuggener et de Gotthard Schuh matière à une émancipation visuelle. Son départ pour les États-Unis en 1947 « pour conquérir la liberté d’être soi-même » a permis l’éclosion de son art.
Son éveil artistique, Peter Lindbergh, né le 23 novembre 1944 à Leszno (Pologne), l’a puisé à l’Académie des beaux-arts de Berlin dans le cinéma, le théâtre et l’art de l’avant-garde allemande. Son installation en 1971 à Düsseldorf a déterminé sa voie. En deux ans à peine, il est devenu l’un des photographes de mode les plus reconnus d’Allemagne avant de rejoindre Paris pour recevoir jusqu’à tout récemment les commandes des plus grands couturiers, marques de luxe, stars et magazines, tous séduits par le regard qu’il portait sur les femmes.
À la différence de Peter Lindbergh, Robert Frank a été rapidement agacé par le milieu de la mode dont le célèbre directeur artistique d’Harper’s Bazaar, Alexey Brodovitch, lui ouvrait pourtant les portes à peine arrivé à New York. Au bout de six mois, Frank a démissionné pour voyager en Amérique du Sud, en Europe et aux États-Unis, parfois avec jeune épousée et enfants. Les liens tissés avec les écrivains de la Beat Generation et Walker Evans ont construit d’autres constellations et récits. Sa traversée des États-Unis réalisée grâce à une bourse de la Fondation Guggenheim a donné naissance aux Américains, portrait incisif, poétique et sentimental d’une Amérique marquée par ses divisions sociales et ségrégations raciales, un livre qu’aucun éditeur outre-Atlantique ne prendra le risque de faire paraître avant Robert Delpire, à Paris en 1958. Robert Frank a tenu à distance le succès qui a suivi, plus intéressé à l’époque par la réalisation de ses films entamée dès 1959 avec Pull My Daisy que par la photographie, à laquelle il reviendra plus tard.
L’installation en Nouvelle-Écosse (Canada) lui aura permis de se tenir l’écart des tumultes de la célébrité. Les expérimentations visuelles et narratives autant que l’autobiographie et les questionnements existentiels irriguent ainsi une œuvre à l’intériorité profonde et bouleversante d’authenticité.
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Robert Frank (1924-2019) et Peter Lindbergh (1944-2019)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°529 du 20 septembre 2019, avec le titre suivant : Robert Frank (1924-2019) et Peter Lindbergh (1944-2019)