Peu attendu sur ce terrain, le président de la République a consacré son premier discours de politique culturelle à une discipline en proie aux doutes.
PARIS - Le président de la République n’aura pas laissé le loisir à sa ministre, Christine Albanel, d’inaugurer la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (CAPA). Nicolas Sarkozy s’est, en effet, emparé de l’occasion pour prononcer son premier discours de politique culturelle sur un sujet où l’on n’attendait plus guère un président de la République : celui de l’architecture. La volonté de rupture avec la politique de grands travaux menée par ses prédécesseurs, au profit d’une réhabilitation humaniste de la discipline, n’aura échappé à personne. Nicolas Sarkozy n’est pas un homme du passé et abhorre ce qui est figé. Il a donc balayé d’un revers de manche les questions liées au patrimoine. Oui, le patrimoine suppose « des moyens importants », a-t-il reconnu, auxquels ses services tâcheront de répondre après que sa ministre a établi un état sanitaire des monuments protégés.
Son propos s’est concentré sur le patrimoine de demain, c’est-à-dire l’architecture d’aujourd’hui. Le message est allé droit au cœur d’une profession qui se sent depuis longtemps mal aimée des gouvernants et de l’opinion. En premier lieu, le président a donc réaffirmé avec force l’importance de la dimension culturelle et humaniste de l’architecture. « L’art, la culture et l’architecture sont parties prenantes de l’état d’esprit de la société », a ainsi déclaré un Nicolas Sarkozy que l’on ne connaissait pas aussi au faîte des troubles qui agitent la discipline. « Voulant donner une ambition nouvelle et un nouveau souffle créatif à la politique de l’architecture de notre pays », n’hésitant pas, un peu plus tard, à affirmer souhaiter une « nouvelle Renaissance française », le président a égrainé avec justesse les blocages à la fois intellectuels, juridiques et technico-administratifs liés à l’innovation. Insistant sur le rôle social de l’architecture et de l’urbanisme, il a ainsi dénoncé pêle-mêle la mondialisation, le formatage, la standardisation et le fonctionnalisme qui tirent vers le bas la discipline, au profit d’un retour à la contextualisation des constructions. Nicolas Sarkozy a également critiqué les « débats simplistes », tel celui sur l’édification de tours à Paris, tacle appuyé au maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui a échoué sur ce sujet. Il a, par ailleurs, plaidé pour la qualité architecturale dans les entrées de villes, dans les banlieues, où « les logements sociaux doivent être des grands gestes d’architecture » – avec les risques que cela suppose en terme de décontextualisation pourtant vantée au préalable ! – mais aussi dans la construction particulière, regrettant que 83 % (en réalité 93 %) des maisons soient construites sans architecte. Aucune proposition de réforme de la loi de 1977 régissant la profession, imposant un seuil de 170 m2 pour le recours à l’architecte, n’a pour autant été proposée. Les architectes vedettes invités au déjeuner (lire ci-dessous), en bons chefs d’entreprise travaillant avant tout à l’export – et finalement peu représentatifs de la profession –, ne l’auront pas fait remarquer, eux qui rechignent, pour la plupart, à construire pour des particuliers. Le vieux débat sur l’anonymat des concours – pourtant déjà fictif – a aussi été relancé, bien que celui-ci dépende d’une directive européenne qui fait l’unanimité chez nos voisins.
La stratégie politique était loin d’être absente de ce « discours de Chaillot ». Nicolas Sarkozy a plaidé pour la mise en œuvre rapide d’une réflexion sur le Grand Paris, déjà évoqué à Roissy en juin dernier, sujet qui pourrait devenir l’un des enjeux de bataille pour les municipales de 2008. Ce projet, qui divise la gauche, a été timidement relancé par Bertrand Delanoë, mais largement boudé par les élus UMP. L’architecte Roland Castro, ancien communiste et fervent promoteur du Grand Paris, reçu le 18 septembre par Christine Boutin, ministre du Logement et de la Ville, pourrait se voir confier une mission de réflexion sur le sujet (lire l’encadré). Et à ceux qui auraient cru à la valeur humaniste affichée du discours, les confidences relevées lors du déjeuner avec les architectes démystifient rapidement les choses. À l’autoquestion déconcertante de savoir ce qui ferait « la supériorité de l’architecture par rapport aux autres arts ? », Nicolas Sarkozy aurait répondu avec satisfaction : « C’est le seul ayant une exposition populaire instantanée ». Le masque est tombé.
L’ouverture à gauche pourrait aussi concerner la politique de la ville. L’architecte-urbaniste Roland Castro, ancien militant socialiste puis communiste, pourrait se voir confier par Nicolas Sarkozy une mission de réflexion sur le Grand Paris. Contempteur de la ghettoïsation des banlieues depuis le début des années 1980, Roland Castro est le cofondateur, avec Michel Cantal-Dupart, en 1983, de la mission Banlieues 89, qui lui valut d’être nommé délégué à la rénovation des banlieues en 1985 par le président François Mitterrand. En 2007, Roland Castro fut un candidat éphémère, faute de parrainages, à l’élection présidentielle avec son Mouvement de l’utopie concrète (MUC), créé en 2002. Sensible à l’action de Jean-Louis Borloo à la tête de l’ex-ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, l’architecte a été introduit auprès de Christine Boutin au ministère du Logement et de la Ville par sa secrétaire d’État, Fadela Amara. Contacté, l’intéressé s’avoue sensible à l’idée : « Il est trop tôt pour le dire mais je n’aurais aucune raison de m’interdire cela. Ce projet de lutte contre l’apartheid urbain est très ambitieux et dépasse les clivages droite-gauche. »
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Replacer l’architecture au cœur de l’action politique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°266 du 5 octobre 2007, avec le titre suivant : Replacer l’architecture au cœur de l’action politique