Le Centre Pompidou se penche sur l’art dans les anciens pays
du bloc communiste, de 1950 à nos jours.
PARIS - En réunissant la galerie Sud et l’Espace 315, le Centre Pompidou, à Paris, a ouvert une surface exceptionnelle au projet mené par Christine Macel, Joanna Mytkowska et, pour la partie documentaire, Natasa Petresin-Bachelez. Exceptionnelle mais encore hors d’échelle pour l’ambition affichée de ces « Promesses du passé » : embrasser plus d’un demi-siècle de l’histoire d’un demi-continent, un territoire dont la désignation est par elle-même problématique, l’« Europe de
l’Est », placée ici sous la bannière de la « réunification » de l’Europe.
Le mot, d’un affligeant manque de justesse politique, est celui du président du Centre dans la préface du catalogue. Bien plus juste est le propos par exemple du Praguois Vit Havránek, qui précise que la chute du Mur « engendra l’extinction des antagonismes, ce qui déstabilisa l’Ouest, qui retirait de cette bipolarité son identité et son hégémonie ».
En situant la question plus clairement sur le terrain de l’art, les commissaires tentent de déplacer le problème. Elles n’en réfèrent pas moins à une géographie unifiée convenue, mais en usant astucieusement d’une perspective historique qui identifie du discontinu dans un déroulement auquel est ainsi restitué toute la complexité.
L’histoire déjoue la géographie, relativisant l’étanchéité des deux mondes, permettant des allers et retours, dont celui qui vaut à des contemporains « de l’Ouest » de trouver matière à travail de l’autre côté de l’ancienne barrière symbolique des blocs. Pas toujours avec bonheur d’ailleurs, quand la photographie de Cyprien Gaillard vient, par un accrochage qui la met en exergue, écraser de sa dimension et de sa qualité d’image rutilante sous Diasec les œuvres d’une tout autre économie formelle composant le reste du parcours.
Ces jeux d’anachronismes et de déplacements ouvrent cependant à une lecture nuancée et passionnante de la période envisagée. La dénomination partagée dans le catalogue d’une situation dite « postcoloniale » se voit précisée dans ses textes, comme lorsque Vit Havránek, toujours, parle d’« autocolonisation ». Demeure pourtant une interrogation sur le fait que l’identité territoriale choisie comme axe exclut pour l’essentiel les pratiques des artistes russes. Ce qui prive la construction du parcours et sa partie documentaire d’un élargissement qu’elles auraient pu, sinon dû, mériter.
Une sculpture-cimaise
Au-delà de ses angles morts et manques inévitables, l’exposition se révèle des plus passionnantes pour le visiteur dans le rapport immédiat aux œuvres présentées, tant la liberté, la vigueur, l’économie, la pertinence, la distance souvent portée par les formes de l’humour et de la mise en scène de soi dessinent l’horizon d’une nécessité et d’une puissance artistique. Cet éclatement est admirablement servi par un accrochage d’une réussite exceptionnelle, qui fera date : l’artiste polonaise Monika Sosnowska a construit en effet un dispositif de cimaises en lignes brisées, d’un seul tenant mais formidablement rythmé.
Ajustée parfaitement à la présentation des œuvres, malgré leurs régimes très variés entre documents, tableaux, projections, volumes, cette sculpture-cimaise traverse tout le plateau de la galerie en laissant de grands espaces libres. Et en donnant à lire le propos de l’exposition d’une manière convaincante. D’autant que, au détour de l’histoire, le visiteur rencontre des œuvres et des intensités remarquables, portées par un régime que l’on pourrait dire par défaut conceptuel, des pièces venues de Pologne, d’Albanie, de Hongrie, de Croatie, de République tchèque, de Slovénie, de Serbie, de Roumanie…
Le visiteur s’arrêtera aussi sur des moments d’échanges comme la Biennale de Paris ou la Galerie des locataires, ou des personnalités telle la Polonaise Anka Ptaszkowska ou ce voyageur de Pierre Restany, qui ont permis de recevoir en France dès 1972 des aperçus consistants de ce qui se passait « là-bas ». L’Espace 315, avec des archives et projections mis en scène par l’artiste slovène Tobias Putrih, élargit le parcours et donnera des raisons de prolonger ces « Promesses » dans le catalogue.
Les promesses du passé, 1950-2010, une histoire discontinue de l’art dans l’ex-Europe de l’Est, jusqu’au 19 juillet, Centre Pompidou, galerie Sud et Espace 315, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, tlj sauf mardi 11h-21h, www.centrepompidou.fr . Catalogue, 256 p., 44,90 euros.
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Relire l’Est
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires : Christine Macel, conservatrice au Musée national d’art moderne ; Joanna Mytkowska, directrice du Musée d’art moderne de Varsovie et Natasa Petresin-Bachelez pour l’Espace 315
Scénographie : Monika Sosnowska, Tobias Putrih
Nombre d’artistes : 50
Nombre d’œuvres : 160
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°324 du 30 avril 2010, avec le titre suivant : Relire l’Est