Saint-ouen-l’aumône - Fondée au XIIIe siècle par Blanche de Castille, l’abbaye de Maubuisson fut d’abord un monde de femmes clos et autonome, où les religieuses dédiaient leur vie à l’étude et à la prière.
En y réunissant six artistes ou collectifs féminins affiliés au champ des arts numériques, Julien Taïb, commissaire de l’exposition « Pro Liturgia », entend bien mettre en perspective cette histoire : des moniales aux « ordinatrices du temps présent » rassemblées dans le centre d’art contemporain, court une même exigence de savoir et de connaissance, et peut-être une même volonté d’intercéder entre les mondes matériel et immatériel. Mais parce qu’elles cernent des rituels, qu’elles abordent notre relation au temps et à l’espace, et parfois suggèrent une autre manière de s’inscrire dans le monde, les œuvres qui jalonnent l’accrochage ouvrent aussi un questionnement sur la nature des liens entre religion et cultures numériques.On est bien sûr tenté d’y voir développée cette idée selon laquelle le monde digital serait l’opium de l’époque, sa religion. Le sous-titre de « Pro Liturgia » file d’ailleurs la métaphore en jouant sur la polysémie du terme « ordinatrice » : il désigne à la fois les premières machines à calcul – l’ordinateur fut d’abord une ordinatrice, avant que le masculin ne l’emporte –, et les « ordonnatrices » qui régissaient le culte. De même, l’expression pro liturgia réfère aussi bien à l’histoire de l’abbaye qu’aux rituels contemporains dont les visiteurs contemporains peinent d’ailleurs à se départir : vérifier son smartphone, prendre une photo, la partager sur Instagram, par exemple. Ces rituels rythment le début du parcours. À côté du bar, le robot de Laura Haie trempe un carré de sucre dans votre café, à la demande. Dans la salle suivante, Cécile Babiole fait grésiller dans l’air le son de l’électricité, et vous propose de « chater » avec d’autres visiteurs par ondes radio ; dans celle d’après, le collectif Iakeri projette sur d’étranges structures suspendues la statistique contemporaine des inégalités de genre. Mais ensuite, miracle, une pause. Le temps ralentit. En silence, une série de projections de Marie-Julie Bourgeois imite discrètement la course du soleil à travers les vitraux. La désynchronisation numérique des rythmes circadiens fait mine de s’accorder à ceux de la nature. Une autre manière de regarder le monde est désormais possible. Justement, dans la salle suivante, Félicie d’Estienne d’Orves propose d’observer à la loupe l’infiniment grand : superposée à la frêle lueur d’une bougie, une vue miniature du ciel profond par le satellite Hubble donne au temps et à l’espace d’autres mesures. On peut alors entrer dans le jardin de Cécile Beau, qui clôt le cheminement spirituel proposé par « Pro Liturgia ». En se donnant pour un paysage du carbonifère baigné de « sons fossiles », il nous invite à nous projeter au-delà de notre ère. L’expérience, de l’ordre de la décontamination, suggère que le numérique pourrait aussi marquer un renouveau spirituel, où la technologie serait l’intercesseur entre l’homme et le cosmos.
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Religion numérique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Religion numérique