Photographie

Régis Durand

Directeur du Jeu de Paume

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2006 - 1472 mots

PARIS

Directeur du Jeu de paume, à Paris, Régis Durand a accompagné la reconnaissance en France de la photographie contemporaine .

Distant et discret, Régis Durand donne l’image d’un poisson froid. C’est qu’à l’inverse de nombreux spécialistes de photographie de sa génération l’actuel directeur du Jeu de paume n’est pas un homme médiatique. Il ne s’est pas taillé un personnage de guérillero revendicatif ou revanchard. Il n’en a pas moins contribué avec une certaine honnêteté à une meilleure connaissance de la photographie en France par le prisme contemporain. Tout en prétendant fuir les polémiques, il en suscite de nombreuses dans son sillage.
Né en Dordogne d’un père instituteur et d’une mère modiste, Régis Durand découvre l’art à sa majorité lors d’un voyage-révélation à Florence. Un séjour d’un an à Philadelphie lui fait découvrir par la suite le pop art américain et la performance. Sa voie première reste pourtant la littérature. Il s’inscrit en faculté de lettres, passe son agrégation d’anglais en 1965, rédige un doctorat sur D. H. Lawrence et enseigne la littérature anglaise et américaine. Sa fascination pour les États-Unis rappelle celle d’un
Philippe Labro dans L’Étudiant étranger. « J’ai longtemps été fasciné, mais il y a eu une cassure dans les années 1980, précise-t-il. J’ai vu cette composante conservatrice qui s’exprime aujourd’hui de manière agressive. Il reste que c’est un pays extraordinaire. »

« Pensée transversale »
Parallèlement à l’enseignement, il rédige des articles sur l’art et la photographie dans la revue art press. « Je ne m’intéressais pas particulièrement à la photo. Je me suis mis à l’aimer, rappelle-t-il. C’est un médium instable, qui ne permet pas de grands gestes héroïques, peut-être proche de l’écriture. » Il organise sa première exposition en 1988 à la chapelle de la Salpêtrière, à Paris, dans le cadre du Mois de la photo, et publie dans la foulée son premier livre, d’une grande clarté, Le Regard pensif (Éditions de la Différence). Ses détracteurs lui reprochent de ne défendre aucun point de vue dans ses écrits, préférant le balayage panoramique à l’affirmation. Régis Durand admet lui-même ne pas vouloir « exclure pour prôner ». « Il a toujours eu une pensée transversale par rapport à la photo, qui ne se mesure pas en termes de chapelle, de courant ou de génération », souligne Marc Donnadieu, directeur du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Haute-Normandie. L’historien Michel Poivert observe pour sa part que, dans un milieu tributaire des modes, « Régis ne s’est saisi d’aucun concept chic, il n’a pas voulu tomber dans le nominalisme de la photo plasticienne ou du tableau-photo. Il est distancié par rapport aux gimmicks du milieu ». Plus que de gimmicks, mieux vaut parler d’une vraie sociologie de territoire, où s’entrechoquent autant les concepts que les ego. « Régis a toujours tendance à dire que les historiens ne l’aiment pas, mais maintenant il a un rapport décomplexé vis-à-vis d’eux, poursuit Michel Poivert. Il est de ceux qui ne pensent pas que la photo soit un mystère. Il a participé à la démystification de la photo et de son public. »

Dernier mot aux créateurs
En 1992, Régis Durand abandonne l’enseignement pour rejoindre la délégation aux Arts plastiques (DAP) en tant qu’inspecteur pour les Fonds régionaux d’art contemporain. Puis Marie-Thérèse Perrin fait appel à lui, en 1993, pour la direction artistique du Printemps de Cahors, dont il s’occupera pendant quatre ans. Il y fait preuve d’une souplesse et d’une liberté que l’on ne décèlera pas forcément dans ses postes suivants. « Il a apporté une orientation essentielle, comme la décision de ne pas se cantonner à la photo, mais de s’ouvrir à la vidéo, à l’installation », estime Marie-
Thérèse Perrin. En 1996, il succède à Robert Delpire à la tête du Centre national de la photographie (CNP), un poste très convoité, mais pour un lieu en sommeil. Il en fait une vitrine pour la création contemporaine, certes excentrée des circuits artistiques. À l’image de ses articles, sa programmation ne permet pas de dégager de point de vue particulier. Bien que souvent éreinté, notamment par le quotidien Le Monde, on lui doit quelques réussites comme Hans-Peter Feldmann, Valie Export ou des expositions de collections d’entreprise. Régis Durand semble toutefois frileux, soucieux du qu’en-dira-t-on. « Il faut qu’on le rassure. Il a besoin que les gens qui l’entourent lui apportent des réponses plus que des questions », admet l’un de ses proches. Un artiste relève que « son manque de confiance fait qu’il n’ose pas forcément montrer ce qu’il aime. Ce n’est pas un kamizaze ». Il présente de fait rarement des œuvres susceptibles de choquer, encore que l’exposition Jean-Luc Moulène au Jeu de paume, en 2005, soit l’exception qui confirme la règle.
D’après son entourage, son sentiment d’insécurité, doublé d’une vraie exigence, l’amène parfois à être sévère voire pétardier. Il donne néanmoins le dernier mot aux créateurs. L’artiste Valérie Belin observe qu’il « est très humble vis-à-vis des œuvres. Il creuse son analyse et voit tout de suite les enjeux d’un travail, mais ce n’est pas un théoricien sec ». « Lorsque j’ai fait l’exposition au CNP, je voulais un accrochage asymétrique, alors que Régis avait une idée bien arrêtée, note pour sa part l’artiste Valérie Jouve. Il veut tellement être dans la justesse qu’il peut y avoir des moments d’achoppement. Mais il est respectueux de l’artiste et ne cherche pas à imposer. » Il se montre même souple avec ses propres règles. Ainsi avait-il accepté la vente des photos de Richard Gere au profit du dalaï-lama au Printemps de Cahors. « Cela le faisait tousser, évidemment, mais il avait compris que je devais faire venir quelqu’un ayant une grande notoriété pour attirer le grand public, indique Marie-Thérèse Perrin. Mais quand il pensait que ce n’était pas bien, et que je n’étais moi-même pas archiconvaincue, on laissait tomber une idée. »

Gérer une fusion
Le chapitre Jeu de paume est sans doute le plus controversé de sa carrière. Né d’un oukase de Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, ce projet boiteux a abouti, en 2004, à l’addition de la Galerie nationale du Jeu de paume, du Centre national de la photographie et de l’association Patrimoine photographique. Trois structures aux vocations et à l’économie différentes. Le nouveau dispositif est aussi écartelé entre deux sites, celui de la Concorde, plus adapté à la sculpture qu’à la photo, et celui, biscornu, de Sully. « On a proposé à Régis de gérer une fusion, comme dans n’importe quelle entreprise, et il a fait le sale boulot », remarque un proche. Car le bâton de maréchal s’apparente plutôt à un cadeau empoisonné, avec un plan social difficile tout juste soldé. Plombée par la fusion, la première année du Jeu de paume a été cafouilleuse, avec une exposition inaugurale qui n’avait d’éblouissante que le titre.

« Grande clairvoyance »
Après un démarrage chaotique, la programmation de 2006 est plus prometteuse, avec Ed Ruscha, Cindy Sherman et Lee Friedlander. Mais, étrangement, dix-huit mois après son ouverture, le Jeu de paume n’a toujours pas mué en établissement public. Certains murmurent même que Régis Durand n’aurait pas le charisme nécessaire pour animer un tel pétrolier. « J’estime que ce poste me revenait, car j’avais conduit cette mission au CNP. Un personnage plus flamboyant aurait peut-être marqué les esprits. Je suis là pour faire un travail de fond », défend l’intéressé. « Avant de travailler avec lui, je pensais qu’il était émotif et caractériel. Or, c’est un négociateur extraordinaire, organisé et méthodique, affirme Alain-Dominique Perrin, président du Jeu de paume. J’ai découvert un manager d’une grande clairvoyance. »
Alors même que le lieu commence à trouver sa vitesse de croisière, son directeur affronte une autre polémique, celle des donateurs du Patrimoine photographique, inquiets de la conservation des fonds au fort de Saint-Cyr, à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines). « J’ai toujours pensé que ce n’était pas une bonne idée de faire une fusion avec le Patrimoine photographique, confie Régis Durand. Le CNP et le Jeu de paume, cela avait un sens. Mais je ne voyais pas comment cela pouvait s’articuler avec une association qui est dans une autre tranche chronologique et qui dispose d’un fonds. » Un écheveau avec lequel il devra pourtant composer d’ici à sa retraite, prévue à la fin de l’année. Sans doute retournera-t-il alors à l’écriture. Après avoir dirigé des lieux sans collections, on pourrait aussi le retrouver comme conseiller de collections privées.

RÉGIS DURAND EN DATES

1941 Naissance à Sarlat. 1988 Publication du Regard pensif. 1992 Inspecteur à la délégation aux Arts plastiques (DAP). 1993-1996 Directeur artistique du Printemps de Cahors. 1996 Directeur du Centre national de la photographie (CNP). 2004 Inauguration du nouveau Jeu de paume. 2006 Expositions « Ed Ruscha » et « Craigie Horsfield » (jusqu’au 30 avril), « Cindy Sherman » (16 mai-3 septembre), site Concorde ; « Christer Strömholm » (jusqu’au 19 mars), site Sully.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°232 du 3 mars 2006, avec le titre suivant : Régis Durand

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