Artisanat d'art

Céramiste du XXe siècle

Quinette Meister, noir profond

Par Frédéric Bodet · L'ŒIL

Le 1 avril 2004 - 698 mots

Élaboré depuis de nombreuses années dans la plus grande discrétion, l’œuvre de Quinette Meister a constitué récemment une révélation pour le milieu céramique français. Abordant des notions proches de celles de l’art construit, ses créations travaillent la déconstruction et la reconstruction en jouant sur les ruptures et les juxtapositions.

La thématique de Quinette Meister consiste à trancher parfaitement un cube de grès massif en diagonales croisées, pour finir son geste par un arrachement de la terre laissant affleurer toute l’organisation interne de la masse. L’acte de fendre la terre en tension maîtrisée matérialise une précision implacable et un calcul géométrique assez comparable au travail du sculpteur allemand Ulrich Rückriem sur la taille des pierres. À ce tranché physique d’une masse humide et pour un temps seulement malléable, Quinette Meister ajoute un autre choix majeur au moment de la cuisson : l’adoption du noir d’enfumage, procédé atypique dans le champ de la céramique européenne actuelle. Suisse d’origine mais vivant à Paris, l’artiste s’est formée dans l’atelier d’Annie Fourmanoir. Elle a également beaucoup voyagé, particulièrement au Japon où elle a pu, grâce à son talent, intégrer en 1981 la très privée école Tandaï, en principe fermée aux « gaijins » (étrangers), dans la classe du célèbre céramiste Hideyuki Hayashi. Elle a le privilège de pratiquer une « cuisson au noir » dans le four du grand Kazuo Yagi, l’un des trois fondateurs du groupe Sodeisha (avec Ozamu Suzuki et Shoji Kamoda), premier mouvement ayant permis d’introduire quelque chose de la modernité occidentale dans la tradition de la céramique japonaise, au début des années 1950. C’est dans ce contexte qu’elle va faire le choix définitif du noir pour son œuvre. Après deux expositions à Kyoto et à Tokyo en 1985, elle signe son retour parisien avec une exposition intitulée « Noirs »  à la galerie Kisaragi en 1987, aux côtés de Hayashi. Trois pièces de Quinette Meister sont achetées à cette occasion par le Musée national de céramique à Sèvres. D’autres expositions suivent dans la belle galerie de Maya Behn à Zurich : une de ses pièces intègre alors la collection du musée Ariana à Genève. En 1999 et 2002, la galerie Pierre à Paris lui organise deux présentations personnelles, où le public a pu réellement (re)découvrir la maturité de ses œuvres récentes. Plusieurs pièces de grande taille y ont été acquises par des collectionneurs étrangers. Quinette Meister façonne et fractionne ses blocs de terre dans son atelier parisien, mais c’est dans la région du Gard qu’elle a construit un four à gaz pour pratiquer la « cuisson au noir ». Celui-ci est obtenu par réduction de l’air en fin de cuisson, aiguilles de pin ou pneumatiques servant de combustibles. À la vision du résultat, on se souviendra des polyptyques noirs de Pierre Soulages en peinture, ou bien encore du noir emblématique de la Croix noire sur fond blanc de Malévitch. Un esprit peu enclin à la logique mathématique pourra perdre de vue parfois le rythme de coupe et le rapport du fragment avec sa forme voisine, en particulier dans les derniers travaux où l’artiste décompose un parallélépipède en cubes ou en triangles équilatéraux, pour ensuite superposer les divers éléments en Colonnes sans fin. C’est pourtant la recherche de la cadence qui constitue un des éléments obsessionnels du travail : l’artiste veut susciter chez le spectateur une circulation du regard et de la pensée, ressentie par elle comme une stimulation, une ivresse spirituelle presque. Un tel attachement aux lois du nombre et du rythme n’est pas sans rappeler l’intérêt porté à ces problématiques par Aurélie Nemours, grande dame de la peinture française construite, qui a su dominer elle aussi toutes les équations des rapports forme/rythme/nombre sur le plan de la toile. Raisonnement logique et sensualité réunis au cœur de ces fractions de terre rendent l’œuvre sculpté de Quinette Meister absolument original et d’une présence maintenant incontournable, confirmée par sa participation à la première commande publique en céramique organisée par le ministère de la Culture.

Et la terre (...) voyage..., 30 artistes / 30 céramistes, catalogue réalisé à l’occasion de la commande publique en céramique organisée par le ministère de la Culture et de la Communication (délégation aux Arts plastiques), janvier 2004.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Quinette Meister, noir profond

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