Art contemporain

Que poster post mortem ?

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 25 octobre 2022 - 506 mots

Tourcoing -  Point lumineux dans la pénombre qui baigne la salle d’exposition du Fresnoy, un nuage de gypsophiles délimite un petit espace, où une tablette posée sur un tapis à même le sol invite à se glisser.

Sous l’abri formé par l’épais bouquet blanc, un écran diffuse l’image d’un ciel nébuleux. Qui s’est saisi de la tablette pour obéir aux instructions et se prendre en photo voit bientôt son visage s’incruster dans l’écran et lui adresser un dernier salut, avant de se dissiper. Le fantôme numérique ira ensuite hanter le cloud, prêt à ressurgir plus tard, peut-être au moment où nous disparaîtrons pour de vrai, « in real life ». Mourning Cloud fait partie des œuvres choisies par Marie Lavandier, commissaire de la 24e édition, pour figurer dans « Panorama », qui présente chaque année les travaux de jeunes artistes produits par Le Fresnoy. Imaginée par Magalie Mobetie (1996) avec les conseils de Justine Emard, elle se donne pour un dispositif funéraire ajusté à nos vies connectées. Si elle n’était teintée d’ironie et ne se doublait d’un questionnement sur le devenir de nos données, elle pourrait prétendre soutenir l’essor balbutiant des « digital afterlife services », soit l’ensemble des services mortuaires en ligne. De fait, le nombre toujours plus vertigineux d’êtres humains inscrits sur les réseaux sociaux a fini par confronter les plateformes numériques à un problème sensible, et de taille : la gestion des profils des défunts. Que faire des doubles digitaux de celles et ceux qui décèdent, et le plus souvent emportent avec eux, dans le secret de la tombe, leurs identifiants de connexion ? Comment traiter leurs données et quels hommages leur rendre ? Quand on se targue, comme Facebook, d’accompagner tous les événements qui jalonnent une vie humaine, ces questions sont loin d’être anecdotiques. Elles inspirent déjà au réseau social une volée d’initiatives. Parmi elles, la possibilité de désigner un légataire chargé d’administrer votre compte post mortem. Selon vos dernières volontés, celui-ci pourra soit le supprimer définitivement pour entériner en ligne votre disparition physique, soit le transformer en espace de commémoration où chacun pourra exprimer ses condoléances. Mourning Cloud laisse ainsi augurer tout l’éventail des services funéraires qui pourraient voir le jour pour nous aider à passer « de l’autre côté », selon le titre de cette édition de Panorama. Mais l’installation de Magalie Mobetie suggère plus largement la difficile concordance des temps entre le monde physique où se déploient nos corps et les plateformes où les données, délestées de toute enveloppe charnelle, baignent dans l’instantanéité des flux. Sans épuiser la très féconde et très vaste thématique de l’exposition, le passage du temps et la façon dont les interfaces numériques sont susceptibles d’en rendre compte (ou non) en est l’un des leitmotivs. Elle ouvre sur une profusion de formes et de dispositifs où se réactualisent l’imaginaire du conte et les mythologies du double, du fantôme et des êtres situés dans l’entre-deux. Derrière l’actualité des technologies mobilisées (VR, réseaux neuronaux, etc.), Panorama souligne ainsi la permanence des réponses formulées face à ces deux grandes énigmes que sont le temps et la mort.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°759 du 1 novembre 2022, avec le titre suivant : Que poster post mortem ?

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