Une palissade illuminée annonçant la fin du monde, une créature indescriptible diffusant un râle continu (La Chose, 2008), des têtes de fantômes en polystyrène suspendues au plafond auxquelles sont accrochés des vêtements (Soupe de têtes de fantômes, 2009)…, en maître du décalage, Pierre Ardouvin (né en 1955) propose un accrochage très sombre à la Fondation d’entreprise Ricard, à Paris.
Votre exposition est empreinte d’une atmosphère beaucoup plus sombre qu’à l’accoutumée. L’avez-vous voulue telle ?
Si l’on fait un parallèle avec ma dernière exposition à Paris, à la galerie Chez Valentin (« Temps de chien », 2007), celle-ci était en effet soumise à une lumière extrêmement claire et blanche. Il est vrai qu’ici le climat est plus sombre. C’est bien sûr volontaire et cela suit le fil que j’ai commencé à dérouler avec deux expositions présentées l’année dernière : « La Chose » au LIA-Centre d’art Bastille, à Grenoble, et « La Fin du monde » à la Villa du Parc, à Annemasse. On y retrouvait déjà un développement de ce travail sur l’aspect crépusculaire et sombre des atmosphères, sans doute pour répondre, de manière très subjective, à un sentiment ambiant qui me semble aller croissant.
Vous avez conservé à la Fondation d’entreprise Ricard l’éclairage naturel des fenêtres, mais vous les avez recouvertes de filtres orange. Pour quelle raison ?
J’avais envie de garder un lien avec le monde extérieur et donc de ne pas obstruer complètement la vision. Mais je souhaitais en revanche introduire un vrai décalage par rapport à la réalité et à cette perception de l’extérieur, mise du coup un peu hors temps. Nous sommes dans un temps figé, de coucher de soleil ou de point du jour.
L’œuvre La Fin du monde est faite de palissades sur lesquelles courent du lierre artificiel et des guirlandes lumineuses. Annoncer cet événement à l’aide de tels accessoires, est-ce une forme de dérision ?
Ce n’est ni de la dérision ni de l’ironie. C’est une image que j’ai volontairement construite comme porteuse de contradictions. Le thème de la fin du monde peut paraître apocalyptique ou grandiloquent. Or on se trouve face à un objet qui en lui-même est assez décevant, une sorte de barrière de fond de jardin de pavillon, qui joue sur la notion de décor frontal, comme pour un décor de théâtre, et qui désacralise en même temps cette question-là.
Justement, il y a dans votre travail une esthétique très « France moyenne », que l’on pourrait qualifier de « pavillonnaire ». Est-elle voulue et entretenue ?
Elle est voulue et assumée car elle fait partie des sujets qui m’intéressent. C’est un univers auquel effectivement je reviens souvent, celui de la France des petites villes de province et des cultures populaires. Ce sont des aspects récurrents, qui parlent à chacun d’entre nous à un moment donné et qui en outre véhiculent des choses profondément vraies. Cette esthétique m’interpelle aussi car elle dégage une forme de nostalgie.
Vous lancez-vous dans une entreprise de perversion ou de subversion des valeurs traditionnelles, des schémas et usages qui sont devenus la norme ?
Subvertir la norme m’intéresse mais pas dans un programme revendicatif. Il est important d’être critique par rapport à la norme car je crois qu’elle est toujours un danger, autant pour la culture que pour la société en général.
La Chose est un objet absolument non identifiable, nullement agressif mais assez « terrifiant », qui bouge imperceptiblement. Elle provoque des sentiments contradictoires de répulsion et d’attachement…
Quand j’ai créé cette œuvre se sont imposés à moi deux types de référence : la série B dans un premier temps, et quelques films-cultes de science-fiction. J’ai repris de ces derniers les sensations angoissantes de menace et de monstruosité, en évitant toute référence formelle, puis la notion freudienne d’inconscient, qui comporte cette faculté d’enfermer mais qui permet de projeter beaucoup également. Je voulais donc une forme qui n’en soit pas une, qui puisse évoquer une multitude de choses et qui soit en même temps assez simple et basique. Cette espèce de Bibendum y répond parfaitement. Le fait qu’il bouge et respire était important afin d’obtenir un aspect proche du monstre échoué.
Est-ce une manière d’accentuer le décalage entre l’idée que l’on se fait de l’usage d’une chose et la chose elle-même ?
Absolument, oui. Et cela renforce la faculté, essentielle pour moi, de s’y projeter et de se l’approprier avec ses propres références.
PIERRE ARDOUVIN. SOUPE DE TÊTES DE FANTÔMES, jusqu’au 23 mai, Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, 75008 Paris, tél. 01 53 30 88 00, www.fondation-entreprise-ricard.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
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Pierre Ardouvin : « L’esthétique pavillonnaire m’interpelle »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°303 du 16 mai 2009, avec le titre suivant : Pierre Ardouvin : « L’esthétique pavillonnaire m’interpelle »