Transformé par Céleste Boursier-Mougenot, le pavillon français peut charmer tout en laissant un goût d’inachevé voire déceptif.
Il est difficile de parler de surprise quand on découvre le pavillon français à la Biennale de Venise, tant l’opération médiatique au sujet de Céleste Boursier-Mougenot et de ses « Rêvolutions », sous le commissariat d’Emma Lavigne (aujourd’hui directrice du Centre Pompidou-Metz), a déjà largement dévoilé son projet au grand public. Une fois n’est pas coutume, et Boursier-Mougenot ne pourra pas se plaindre – ce n’est d’ailleurs pas son style – de ne pas être soutenu par les autorités de son pays.
Pour cause : à la différence des Biennales précédentes, le commissariat ne fut pas l’affaire d’une commission, mais a été assuré par l’Institut français en étroite collaboration avec le ministère de la Culture et de la Communication et la direction générale de la Création artistique. Ainsi, tant la promotion que le « service après-vente » ont été bien menés, et c’est tant mieux. Revenons toutefois à « Rêvolutions » qui, avouons-le, ne tient pas toutes ses promesses. Non pas que l’ensemble de la production plastique de Boursier-Mougenot soit remis en question. La très belle exposition « Perturbations », présentée aux Abattoirs à Toulouse l’année dernière, ou encore, autre installation qui a beaucoup voyagé, « From Here to ear », avec ses oiseaux s’agitant sur des guitares électriques, restent en mémoire. Également, le choix de cet artiste pour Venise après des créateurs très (trop ?) connus, comme Christian Boltanski ou Sophie Calle, fut une bonne nouvelle.
Pourquoi alors sent-on une certaine frustration face à un dispositif qui aurait tout pour séduire ?
Mécanisme caché
Pour comprendre, il faut s’immerger dans la démarche de l’artiste, qui a ici fait appel au domaine scientifique, comme souvent dans son processus créatif. Désireux de mettre des arbres en mouvement, Boursier-Mougenot s’adressa au Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS. Son ambition, explique le roboticien Jean-Paul Laumond, était de « faire bouger des pins sylvestres d’environ 4,50 m de hauteur en fonction de paramètres issus de leur métabolisme, de façon discrète ». La méthode utilisée consiste à exploiter l’énergie de la montée de sève des arbres. Ce processus est fortement influencé par les conditions atmosphériques : le flux de sève est différent selon que l’arbre se trouve dans l’ombre ou en pleine lumière.
À l’aide des sondes implantées, l’information est transmise aux plateformes, lesquelles sont munies de roues directrices, un outil de locomotion qui permet aux arbres de « déambuler ». Tout ce mécanisme reste invisible, caché dans des mottes de terre géantes sur lesquelles sont juchés les pins, oscillant lentement sur eux-mêmes. Leur mouvement, ou plutôt leur glissement, à peine perceptible (8 mètres par heure), a quelque chose de fascinant.
Pour autant, l’effet poétique est réduit par l’emplacement des arbres : « coincés » dans l’allée qui sépare les imposants et très muséaux pavillons français, allemand et britannique, ils ont du mal à respirer.
Toutefois, si cette partie de l’œuvre garde un charme indéniable, l’intérieur du pavillon – où se trouve le troisième arbre – est franchement décevant. Selon l’artiste, il s’agissait de créer une « terre d’accueil, un projet utopique qui prendrait le visiteur par la main, lui offrant un endroit où se poser, rêvasser, voire s’allonger, afin qu’il soit partie intégrante de l’œuvre ». Certes, on peut s’y réfugier un instant, échappant au parcours frénétique et parfois épuisant de la Biennale, qui mobilise toute l’attention du visiteur.
Malheureusement, cette « oasis » ne se transforme pas véritablement en un jardin magique, en un « îlot organique ». On est loin de partager l’enthousiasme d’Emma Lavigne au sujet des marches en hémicycle (Marches) qui courent tout au long des salles et qu’elle compare au théâtre grec antique. Gênant est aussi le grésillement électrique sonore incessant, bien loin de tout bruissement de la nature. On reste également perplexe face à l’absence de la camera obscura qui était prévue afin de projeter les images des arbres à l’envers, un Mundus inversus intrigant. D’après l’Institut français, cette modification est due au refus d’une autorisation.
Déception, face à l’œuvre de Boursier-Mougenot ? Non, car elle n’est pas dénuée de souffle. Et elle est originale par son transfert astucieux de l’intelligence artificielle à l’organique. C’est plutôt l’articulation entre l’extérieur et l’intérieur du pavillon qui déroute.
En dernière instance, on pourrait se demander si les mobiles de Calder, mus par des oscillations délicates, par des battements silencieux, subtils et impalpables, ne réussissent pas à instaurer un dialogue plus modeste mais plus poétique avec le spectateur.
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Pavillon français : « Rêvolutions » ? n’exagérons rien
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 novembre, Biennale de Venise, pavillon français, Giardini
commissaire : Emma Lavigne.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Pavillon français : « Rêvolutions » ? n’exagérons rien