Paul Heintz a grandi en Lorraine. Enfant, il a entendu parler de la fermeture des mines, du désarroi des hommes mis prématurément à la retraite.
Peut-être quelque chose s’est joué là, dans son étonnement, son incompréhension. Le monde du travail est en tout cas devenu un des motifs de prédilection de ce trentenaire, qui se définit volontiers par son goût de l’opposition. Au départ de ses recherches, il y a souvent une information, un fait, qu’il n’accepte pas et qui le pousse à réagir. Penser contre, de manière persistante et subtile, aller voir plus loin, débusquer « ce qui lie l’intime et le politique ».
Avec Foyers, projeté dans le cadre de la récente exposition pour la bourse Révélations Emerige 2019, dont il est le lauréat, Paul Heintz a construit un récit à partir de retranscriptions de séances de psychanalyse de pyromanes. La voix off, le souffle du brasier, le staccato des machines de l’usine, mais aussi les silences : c’est un film qui s’écoute autant qu’il se regarde, souligne Gaël Charbau, commissaire de l’exposition et membre du comité de sélection de la bourse Révélations. « Nous avons été sensibles, au-delà du mélange entre le documentaire et la fiction que l’on retrouve dans son travail, à cette grande attention portée à la dimension sonore. » Un temps coursier à vélo dans Paris, Paul Heintz a compilé pour les transformer en partitions musicales une centaine de codes de serrures électroniques de ses adresses de livraison, et en a fait un livre Digicodes.
Dans Foyers, la caméra s’attarde sur les objets du délit, ces allume-feu bricolés en appoint de révoltes viscérales, pulsionnelles, qui viennent interroger la norme. Lecteur assidu, l’artiste se passionne pour les formes, parfois minuscules, d’insurrection. Telle cette confrérie de tapissiers anglais qui, une fois l’an, clouaient subrepticement au coffrage en bois des vitrines qu’elles frôlaient les robes des élégantes, tenues, pour se délivrer, de déchirer leurs atours. Cet esprit de sabotage en lutte avec la violence ordinaire inspire son travail, qui débute souvent à la façon d’une enquête, une façon de se documenter sur le réel pour mieux l’infiltrer.
Il a ainsi consacré des mois à instaurer une correspondance avec un peintre chinois spécialisé dans la reproduction avant de séjourner plusieurs semaines dans la banlieue de Shenzhen. Le film qu’il en a tiré, Shanzai Screens, montre ces virtuoses de la copie, téléphone portable dans une main, pinceau dans l’autre, qui exécutent des tableaux de maître à la chaîne, comme on assemble des éléments industriels. Il y est question du déplacement des images par les voies de communication virtuelles, de la mondialisation des échanges, du geste automatisé, de la solitude. Au-delà de leur actualité, les œuvres de Paul Heintz ont ceci de singulier qu’elles sont aussi faites pour susciter des rencontres, lesquelles à leur tour provoquent des situations. Mieux que des documentaires, des fictions émancipatrices. Il prépare en ce moment un livre dont l’action se déroulera à Londres et espère à cette occasion trouver le plus possible d’homonymes du héros de 1984 d’Orwell, Winston Smith. Un prétexte pour se frotter à l’inconnu, en quête de nouveau.
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Paul Heintz
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Paul Heintz