L’Espace EDF Electra, à Paris, met actuellement à l’honneur le travail de Pascal Cribier, l’un des meilleurs paysagistes français actuels. Sous un titre énigmatique, l’exposition « Les Racines ont des feuilles... » gagne le pari d’évoquer, non sans ironie, les jardins et leurs secrets. Foin de fleurs, les souches d’arbres et les racines ont ici le plus beau rôle.
Paris - C’est une exposition en forme de pied de nez. Elle arbore un titre pour le moins énigmatique, « Les racines ont des feuilles... », et met à l’honneur le travail de l’un des meilleurs paysagistes français actuels, Pascal Cribier, 55 ans. Pas facile de faire une exposition sur les jardins, sinon impossible. « Un jardin ne s’expose pas », tranche le paysagiste. Celui-ci n’a donc surtout pas cherché à en recréer un in extenso, qui plus est « dans un lieu sombre et sans eau » comme l’est l’Espace EDF Electra, à Paris. Il a préféré l’évoquer, non sans subtilité et malice, voire avec un brin d’ironie.
La présentation se déroule en trois temps. Pour chacun d’eux, Cribier s’est amusé à en inverser la logique. Ses jardins, grandioses, il les a plongés dans le noir. En revanche, il hisse en pleine lumière des... racines. Hérésie ! Pis, au lieu de montrer des projets biens sous toutes les boutures, il affiche des... échecs. Mais l’ensemble, riche d’enseignements, dessine le parcours d’un être entier.
Au rez-de-chaussée, se déploie une multitude d’écrans de grand format sur lesquels défilent les propres photographies du paysagiste : le jardin des Tuileries, à Paris, celui de Woolton House, dans le Hampshire (Grande-Bretagne), ou encore, le jardin Le Plaisir, à Aramon, dans le Gard. Pour éviter l’ennui du cliché statique, les images balaient l’écran de droite à gauche. Dans une salle plus intime, le visiteur découvre, au son des Gurrelieder de Schönberg – choix ô combien judicieux sachant que l’auteur des vers des Gurrelieder, le Danois Jens Peter Jacobsen, avant de se tourner vers l’écriture, fut botaniste –, le jardin personnel de Cribier, sa valleuse-laboratoire de Haute-Normandie où, depuis 1982, il épie la nature et affine sa réflexion.
Le visible invisible
Inversement, à l’étage, Cribier met à jour l’invisible. À la lumière naturelle se dévoile une série de souches avec leur système racinaire, déterrées avec grand soin tels des ossements préhistoriques. D’abord, un gros noyer, puis un charme, un robinier et un bouleau. Les spécialistes, depuis la fin du XXe siècle seulement, s’accordent à dire que les racines, elles aussi, portent des feuilles – d’où le titre de l’exposition... – qui naissent et meurent en même temps que les feuilles vertes aériennes. Ainsi, à l’extrémité des « racines de structure », qui servent à ancrer l’arbre dans le sol, poussent aussi des « racines fines » – les fameuses « feuilles » souterraines –, à la vie courte, dont le rôle est d’absorber eau et sels minéraux. On les distingue très nettement ici. Au centre de la salle, sont alignés au carré neuf saules issus du marais de Larchant, près de Fontainebleau. La mise en scène de ces racines, suspendues comme en lévitation, frise l’installation d’art contemporain. Aucune importance, car le propos est ailleurs. L’originalité de ces troncs est qu’ils arborent plusieurs « couronnes » de minces racines ou « collets racinaires », lesquels se sont développés en fonction du niveau de l’eau du marais afin de prélever l’oxygène pour respirer. Un phénomène, paraît-il, unique en France. Époustouflant !
Le troisième et dernier volet de l’exposition se déploie au sous-sol, baigné dans des effluves de champignons fraîchement éclos. Il consiste en trois projets « sans avenir » ou « peut-être en devenir ». Ici, un concours perdu – le projet pour l’aménagement de la Cour du Maroc, à Paris. Là, un jardin aujourd’hui à l’abandon, le fameux Jardin expérimental de Méry-sur-Oise (Val-d’Oise), cette « grande partouze de plantes » (dixit Cribier). Deux films retracent la réalisation de ce vaste projet. Sur un écran, des bulldozers. Sur l’autre, des catalpas. D’un côté, le chantier, de l’autre, le jardin achevé, histoire de montrer que sans l’extraordinaire chamboulement du terrain, point de résultat probant. « Je déteste l’idée que l’on se fait qu’un jardinier est toujours plus écologiste que les autres, ce n’est pas vrai !, lance Cribier. On détruit un biotope dès qu’on décide de marcher quelque part et lorsque je fais un jardin, j’abîme la nature évidemment ». En guise de « bouquet final », Cribier présente son Jardin des Énergies, une île de cinq hectares plantée sur le lac de refroidissement de la centrale nucléaire de Cattenom, en Moselle. Ledit projet, remporté sur concours en 2004, est pour l’heure, comble du paradoxe, bloqué par… EDF, hôte de la présente exposition. Sont notamment évoqués des « risques » inhérents à la création de cette île alors que, sur ce même lac, s’activent tous les dimanches pêcheurs et autres véliplanchistes. Nul n’est prophète en son jardin.
« LES RACINES ONT DES FEUILLES... », jusqu’au 28 septembre, Espace Electra, 6, rue Récamier, 75007 Paris, tél. 01 53 63 23 45, tlj sauf lundi 12h-19h. Et aussi JARDIN TRANSFORMABLE, à partir du 24 juin, Artcurial, 7 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.
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Pascal Cribier l’enraciné
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires de l’exposition : Laurent Le Bon et Pascal Cribier
- Scénographie : Franck Vinsot
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Pascal Cribier l’enraciné