Paroles d'artistes - Florian Pugnaire et David Raffini

« Rendre hommage à la peinture comme pratique »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2013 - 1024 mots

Avec des œuvres réalisées en duo, telle Énergie sombre (2012), nouveau film atmosphérique qui voit un fourgon lancé dans une course folle devenir sculpture à force d’accrochages et accidents, et des travaux solo, parfois exécutés à l’aide de plaques d’inox, Florian Pugnaire (né en 1980) et David Raffini (né en 1982) font l’objet d’une triple actualité ce printemps. Alors que leur exposition au centre d’art Les Églises à Chelles (Seine-et-Marne) vient de s’achever, ils sont montrés actuellement au Musée Picasso de Vallauris (Alpes-Maritimes) et à la galerie Torri à Paris.

Frédéric Bonnet : Le film Énergie sombre a été projeté à Chelles, et l’est aussi à Vallauris et Paris. N’est-il pas in fine un prétexte pour voir un fourgon se transformer en sculpture ?
Florian Pugnaire : Le film est autant un prétexte pour voir une sculpture en train de se faire, que la sculpture est un prétexte pour tourner un film. Il y a un rapport de symétrie entre un objet qui sert un film et un film qui sert un objet. L’exposition de Vallauris est peut-être plus juste en ce que la présentation du film est accompagnée par la sculpture. Entre les deux se trouve un point où adviennent véritablement les choses, à la fois dans le fait de vivre quelque chose et dans la temporalité du film. Du coup une discussion est créée entre une image en mouvement et une chose ancrée dans une fixité, cette sculpture, qui porte aussi tous les stigmates de l’expérience du film. Le spectateur se retrouve coincé dans l’espace entre la fiction, le processus et le résultat, et c’est là que des allers-retours s’opèrent nécessairement.

F.B. : Dans vos films autant que dans vos sculptures, depuis notamment cette 2 CV qui se compressait (Expanded Crash, 2008), la métamorphose est partout présente. Pourquoi ?
F.P. : Je pense que c’est un peu pour les mêmes raisons car la question de la métamorphose en sculpture tient dans l’idée que l’objet n’est pas figé. Pour la 2 CV, il s’agissait finalement de donner à voir un discours sur la compression dans l’espace et l’expansion dans le temps, et de montrer un travail en cours ; le public venait voir cette voiture qui ne bougeait pas beaucoup car le processus était lent, et les gens faisaient face à une fixité apparente.

David Raffini : La métamorphose intervient systématiquement sur les matériaux et sur les gens eux-mêmes ; il y a d’une manière générale une décrépitude effective des corps, quels qu’ils soient. Dans nombre de nos travaux, le rapport au temps devient l’un des éléments de la faisabilité de la pièce, dans sa dégradation possible, dans sa transformation, dans sa métamorphose.

F.B. : Dans le film Énergie sombre, vous semblez insister sur les surfaces du fourgon, couvert de boue, rayé, cabossé, etc. Or cette question de la surface revient avec vos sculptures où il est également question de traiter ou de maltraiter des surfaces. Avez-vous travaillé sur ce rapport ?
F.P.
: Nous avons voulu affirmer, dans ce film plus que dans les autres, un rapport à la peinture. On voit rouler le camion jusqu’à cette explosion finale, or l’agression de la machine commence sur sa peau, sur la carrosserie. Et c’est sur un travail de surface que nous avons conçu nos images, en pensant le montage et les différentes actions en termes de peinture, et ça, c’est très intéressant pour moi qui ne suis pas peintre.

D.R
: L’insistance a vraiment été portée sur un rapport à la peinture lorsqu’elle est entre deux états, en train de se faire, de sécher ; on est, encore une fois, dans un rapport à la pratique. Jusqu’à présent dans nos films, le rapport possible à la peinture était généralement évoqué de manière romantique à travers la notion de paysage, de choses délaissées, lesquelles font penser à cette période du XIXe siècle où la ruine était prétexte à faire de la peinture. Mais depuis deux ans, nous travaillons dans le même atelier et donc des discussions naissent, il y a une interaction intéressante. Du coup cette énonciation de la peinture et cette volonté de lui rendre hommage en tant que matière fraîche, nous l’avons évoquée dans un rapport de surface dans le film.

F.P. : Là où c’est intéressant, c’est lorsque ces questions de surface et de peinture se retrouvent aussi dans des questions de sculpture en effet. Par exemple dans cet usage de la boue, laquelle, à Chelles, maculait un tractopelle en bois. Dans ce rapport de surface, une transformation s’opère : une fois la totalité de la surface recouverte, ce qui saute aux yeux c’est la masse, du coup on bascule dans un rapport de sculpture.

F.B. : Lorsque vous travaillez chacun des sculptures avec des feuilles d’inox, les pensez-vous de concert ?
D.R : Il y a à la galerie Torri deux exemples cousins. J’ai travaillé une plaque d’inox, impactée par une demi-sphère métallique qui a embouti la matière. Ce point se trouve bien évidemment dans un espace particulier du tableau, à la croisée de deux formes géométriques spécifiques, et le tableau lui-même adopte le format d’un carré long se référant au nombre d’or. Et puisque nous avions décidé de nous répondre l’un l’autre avec des matériaux identiques et des œuvres pouvant être comparées à travers des oppositions ou des similitudes, Florian, à l’aide du même matériau, a fait une autre proposition. Il a enserré une plaque dans un cadre trop petit, ce qui a contraint la tôle à se rétrécir sur elle-même jusqu’à rentrer dans ce cadre par un processus de serrage, ce grâce à des boulons sur les bords du cadre.

F.P. : La réduction du périmètre de la tôle a contribué à ce que la matière s’échappe, et, même si c’est une pièce murale, on assiste d’une certaine manière à la naissance d’une sculpture.

FLORIAN PUGNAIRE %26 DAVID RAFFINI. ENERGIE SOMBRE

jusqu’au 13 mai, Musée national Picasso-La Guerre et la Paix, place de la Libération, 06220 Vallauris, tél. 04 93 64 71 83, tlj sauf mardi 10h-12h15, 14h-18h.

FLORIAN PUGNAIRE %26 DAVID RAFFINI. CHJAMI RISPONDI

jusqu’au 30 mars, Galerie Torri, 7, rue Saint-Claude, 75003 Paris, tél. 01 40 27 00 32, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : Paroles d'artistes - Florian Pugnaire et David Raffini

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