Dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins, à Paris, Isabelle Cornaro (née en 1974) a disposé des vitrines horizontales de dimensions diverses, contenant des accumulations d’objets posés sur des fonds colorés. Entre approche conceptuelle et point de vue sensitif, vision globale et souci du détail, figuration et abstraction, l’artiste questionne tant la représentation que l’aspect formel et culturel de l’objet.
Frédéric Bonnet : Votre installation opère une distinction entre des ensembles d’objets composés et des ensembles accumulés. En quoi consiste-t-elle ?
Isabelle Cornaro : Dans les ensembles composés, les objets sont pris comme des éléments graphiques dans une composition. Ils ont été choisis selon des catégories, ils ont un sens, mais aussi un « aspect dessin ». Dans ce projet, l’aspect graphique s’exprime aussi à travers le dessin géométrique des vitrines réparties dans l’espace. Les endroits contenant des ensembles accumulés ont un plus grand rapport au pictural, c’est-à-dire à la tache colorée par exemple. Les objets y sont plus considérés pour eux-mêmes. Il y a là un aspect un peu conceptuel et sémiologique, l’idée de prendre en compte la charge affective, politique ou historique des objets.
F.B. : Vous employez ici des fonds colorés qui découpent l’espace et vous revendiquez une démarche graphique, laquelle est récurrente dans vos installations, comme celle présentée à la Ferme du Buisson, à Noisiel, (La Salle des objets, 2010). Travaillez-vous avec à l’esprit un schéma de représentation ?
I.C. : Ce qui m’intéresse avec les plans colorés, c’est de montrer des objets très figuratifs tout en ayant des figures prises dans des systèmes abstraits. À la Ferme du Buisson, le système abstrait, c’était la succession des socles, les différents étagements, etc. Là ce sont des plans colorés. Je pense que la forte présence de l’aspect purement formel, qu’il soit coloré, en géométrie plane ou en volume, opère une mise à distance avec ces objets qui permet un regard critique. L’idée est finalement de les neutraliser en les intégrant dans un système abstrait, afin de les montrer, de dire « voilà ce que c’est, ça a l’air d’être un petit objet comme ça, mais en fait, c’est un petit crocodile en ivoire et cela parle du colonialisme », par exemple. J’essaye ainsi de rendre visible, de souligner, cette charge symbolique, représentative ou culturelle.
F.B. : Est-on là dans le registre de la représentation ?
I.C. : Oui, on est dans la question des systèmes de représentation tout au moins. Il s’agit évidemment d’une construction culturelle, toutes les valeurs sont des choses construites ; c’est « anti-naturalisant ». On signifie là qu’un objet est lié à une construction intellectuelle, à une histoire, à une époque. Et il me semble que l’intégrer dans un système formel permet de le révéler. Sinon, on en est trop près, on en a trop l’habitude, on les connaît trop.
F.B. : Pour revenir à la dichotomie entre représentation concrète et abstraction, récurrente dans vos œuvres, en quoi ce balancement vous intéresse-t-il ?
I.C. : C’est un balancement qui m’importe car il permet de ne pas prendre les objets pour eux-mêmes, ni les compositions abstraites pour elles-mêmes. Le travail part d’une base conceptuelle, c’est pourquoi il est important de trouver un équilibre avec des choses ayant une charge plus « figurative ». L’usage de ce type d’objets est aussi une manière de me forcer à aller un peu à contre-courant de ce que j’aurais tendance à faire. J’ai commencé à travailler avec des dessins plutôt abstraits, et c’est une façon de recharger, de revivifier ma pratique, et aussi d’éviter de tomber dans une chose trop formelle. D’où également la question du réalisme, et le fait qu’il ne s’agisse pas seulement d’un jeu intellectuel ou conceptuel.
F.B. : Votre vision du motif a-t-elle un rapport au paysage ?
I.C. : Oui, il s’agit toujours de construction de paysages. Ma première pratique est le dessin, or le paysage est une forme de dessin dans l’espace par plans, il a quelque chose de linéaire.
F.B. : Cet ensemble linéaire rejoint la construction abstraite dont nous parlions précédemment…
I.C. : Absolument, et ce sont des plans dans le sens de projets également, qui deviennent des volumes, des élévations, des masses et des objets réels. C’est aussi le passage du projet à la matérialité.
Jusqu’au 3 juillet, Collège des Bernardins, 20, rue de Poissy, 75005 Paris, tél. 01 53 10 74 44, www.col legedesbernardins.fr, tlj 10h-18h, dimanche 14h-18h.
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Paroles d'artiste - Isabelle Cornaro
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Isabelle Cornaro