Tout en finesse et avec un humour contenu, Guillaume Bijl (né en 1946 à Anvers) prend possession de la galerie Guy Pieters, à Paris, avec des Compositions trouvées récentes et quelques œuvres de sa série Sorry. Assemblages d’objets banals toujours finement pensés, ces travaux s’inscrivent dans une tentative d’anticiper ce que pourrait donner à voir, demain, l’archéologie étudiant notre monde d’aujourd’hui.
Le Journal des Arts : Votre projet s’intitule « L’archéologie de notre civilisation », et vos installations sont pour l’essentiel issues de la série des Compositions trouvées. Quel en est le principe ?
Guillaume Bijl.: Il y a ici douze Compositions trouvées récentes, datant de l’année écoulée, et trois Sorry, qui sont des œuvres plus absurdes et abstraites. Le titre des Compositions trouvées est un jeu de mots sur l’objet trouvé ainsi que sur le mot « trouvé ». Ce n’est pas tout à fait trouvé, car ce sont des assemblages que j’ai faits moi-même, qui sont une sorte de nature morte actuelle et archéologique. Ce sont des détails de boutiques ou de coins perdus. Cinq de ces compositions semblent assez absurdes ; ce sont des fragments d’antiquaires et de magasins de curiosités, comme par exemple un assemblage de vingt horloges gadgets pour les jeunes. On retrouve là un aspect du kitsch qui est assez important dans mon œuvre. Comme chaque objet a une référence historique, ou quelque chose de la sorte, on peut voir dans ces œuvres un aspect de notre société assez kitsch et pleine de contradictions.
Qu’est-ce qui est important, pour vous, dans l’idée de kitsch et dans sa mise en scène ?
G.B. : Le kitsch, c’est un peu la banalité de notre civilisation. C’est le mauvais goût qu’on aperçoit partout, mais aussi l’exagération de notre attitude de consommation plutôt folle.
Qu’entendez-vous lorsque vous définissez les Compositions trouvées comme des natures mortes actuelles et archéologiques ?
G.B. : Quand je montre des compositions, par exemple celle des horloges assez kitsch, elles sont maintenant très actuelles mais peut-être que dans cinq mille ans on ne les reconnaîtra plus. C’est pourquoi ce sont des vues du moment, de notre temps, tout comme les natures mortes du XVIIIe siècle montrent un extrait de leur temps. De plus, avec ces compositions, je donne à voir des spécimens de notre temps qui, dans cinq mille ans, seront peut-être totalement abstraits. Je montre donc cela comme une sorte d’archéologie de notre temps. Et je le fais aussi avec un certain regard d’aliénation. Lorsqu’on entre dans un supermarché ou qu’on regarde certaines compositions dans la galerie, il y a cinquante ans on n’aurait pas reconnu tous ces objets. C’est une vision, mais aussi une sorte de petit miroir de notre société paradoxale.
Cette ambivalence entre la réalité et la fiction vous sert-elle à explorer ou recréer une autre idée du réel, ou au contraire à entretenir une illusion du réel ?
G.B. : J’ai débuté comme peintre mais je n’étais pas satisfait. J’aimais la peinture, mais je voulais être clair et émouvoir le public également. Je souhaitais lui laisser voir une sorte de trompe-l’œil. Au cours des années 1970, j’ai fait pas mal de projets qui étaient une sorte de mélange de théâtre et de performances dans des installations. Je me suis alors demandé : « Pourquoi dois-je peindre ou faire de la sculpture ? » Alors que je pouvais simuler des situations ou laisser voir des espaces de la réalité qui sont assez clairs, que je montre de manière tragicomique et qui donnent beaucoup d’informations et d’expression. J’ai donc avancé dans l’idée de montrer des choses à l’échelle 1/1, des situations de notre réalité. Par ailleurs, je ne suis pas intéressé par l’illusion, même si je fais des décors. Je me sens tel un réaliste qui exprime certaines situations dans des installations. C’est comme ça que le public de mon travail devient une sorte de témoin, ou une sorte d’acteur maudit, de témoin coupable. Le public peut devenir un témoin coupable de notre civilisation.
Le fait de remettre tout cela en scène a-t-il pour but de pointer la culpabilité du public, de créer une prise de conscience, de jouer sur un registre plus ironique ? Comment imaginez-vous son rôle face à votre travail ?
G.B. : Je veux surtout relativiser. Je ne suis pas un grand critique politique ou quelque chose de ce genre. Mais je veux que mon public sache, comme moi, relativiser ce qui constitue notre réalité. Nous sommes tous déterminés par notre société, mais je donne un témoignage assez banal afin de relativiser tout ce qui nous entoure.
Jusqu’au 14 mars, galerie Guy Pieters, 2, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 42 89 26 83, www.guypietersgallery.com, tlj sauf dimanche et lundi 10h-19h. Cat., éd. galerie Guy Pieters, 192 p.
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Paroles d’artiste - Guillaume Bijl
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Paroles d’artiste - Guillaume Bijl