L’inflation récente de ce type de structures a brouillé l’image de cet indispensable soutien à la jeune création.
« J’aime les rencontrer, lorsque c’est possible, lorsqu’ils ont besoin de conseils, parfois j’organise des réunions. L’année dernière nous avons fêté la Saint-Sylvestre ensemble, selon la tradition romaine, en jetant toute sorte de vieilles choses par la fenêtre […], c’était très gai, on s’est beaucoup amusé » (1). Avec cette description désinvolte de l’atmosphère de la Villa Médicis, à Rome, dont il fut directeur de 1961 à 1977, le peintre Balthus (1908-2001) a probablement conforté quelques fantasmes sur la plus ancienne des résidences françaises d’artistes, où douceur de vivre et dilettantisme primeraient sur l’ardeur à la tâche créative, dans une ambiance de sympathique camaraderie – du reste fortement contestée par quelques témoignages d’anciens pensionnaires. De fait, les résidences d’artistes, héritières de l’image de bohème de quelques colonies de créateurs, gardent toujours l’image indécise de lieux réservés à quelques privilégiés logés confortablement et grassement rétribués pour s’adonner librement à la création. La réalité est pourtant toute autre. Car outre la prestigieuse résidence romaine, qui n’accueille qu’une quinzaine d’heureux élus par an et fait figure d’exception par l’importance des bourses allouées (2 650 euros par mois), les résidences recouvrent un ensemble de lieux d’accueil et de travail très différents. Si, à Saché (Indre-et-Loire), l’ancien atelier de Calder offre des conditions très appréciables (atelier de 300 m2 avec vue sur l’Indre, maison de 450 m2 et véhicule) pour des artistes souvent déjà reconnus, comme Marina Abramovic, Kcho ou actuellement Mark Dion, les logements se réduisent dans la plupart des cas à des studios-kitchenette ou à des appartements communs à plusieurs artistes. Car le principe de la résidence ne se limite pas à ses prestations : quel que soit le champ disciplinaire (écriture, arts plastiques ou visuels, arts vivants), il s’agit avant tout d’un soutien à la création.
Sélection des candidats
Chantal Cusin-Berche, directrice du Centre national des arts plastiques (CNAP), en précise la définition : « Idéalement, une résidence est un lieu qui accueille un ou plusieurs artistes pour que celui-ci ou ceux-ci effectuent un travail de recherche ou de création, sans qu’il y ait obligation de résultat, et la création sera facilitée grâce à la mise à disposition d’un lieu de vie et de création, de moyens financiers, techniques et humains » (2). En clair, avec ou sans cahier des charges, l’artiste est reçu par un organisme, public ou privé, pour une durée déterminée, avec des objectifs qui peuvent être divers : aide pure et simple à la production d’une œuvre, accueil en vue de la préparation d’une exposition, recherche de diffusion de l’art contemporain sur un territoire. La résidence lui procure aussi l’occasion de se dépayser en rompant avec le quotidien, mais aussi de rencontrer des professionnels (critiques d’art, conservateurs, techniciens, animateurs de lieux culturels) ou un public nouveau. La designer Matali Crasset garde ainsi un souvenir enthousiasmé des jours passés au Pôle expérimental des métiers d’art à Nontron (Dordogne), où de jeunes créateurs sont invités à travailler avec des entreprises locales en milieu rural : « Ce sont souvent des moments très forts. Pour ma part, cela m’a donné l’impression de repartir à zéro. C’est assez sain, on parle sans artifice de ses projets, cela permet de rester en contact avec la réalité. » Encore faut-il que l’alchimie fonctionne : plusieurs plasticiens racontent avoir quitté une résidence confortable sur la Côte d’Azur où ils se sentaient trop isolés. D’où l’importance d’une bonne sélection des candidats, généralement confiée à un jury.
Pour les artistes, il faut aussi se repérer dans le maelström des différentes structures, dont le nombre a crû de manière exponentielle.
Depuis la création d’ateliers en 1984 au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) des Pays de la Loire, la résidence pour plasticiens a fait de nombreux émules.
Nomadisme contraint
Si, en 1996, la délégation aux Arts plastiques (DAP) en recensait une quarantaine, elles sont aujourd’hui plus de 150, localisées dans les musées, centres d’art, FRAC, écoles d’art, mais aussi fondations privées, lieux associatifs, friches, usines, hôpitaux…, en milieu urbain, périurbain ou rural. Sans compter les sites partenaires à l’étranger, proposés en résidence notamment par l’Association française d’action artistique (AFAA) ou encore par les Pépinières européennes pour jeunes artistes, une organisation européenne qui organise des programmes dans les vingt-cinq pays de l’Union et le Canada. « C’est aujourd’hui très “tendance”, dès qu’on dispose d’un bout de friche, on crée une résidence », constate Philippe Massardier, vice-président de l’association pour la promotion des arts plastiques La Pomme à tout faire (Arras). Preuve de cet engouement, de nombreuses collectivités territoriales et intercommunalités s’emparent aujourd’hui du concept. « Elles sont en effet de plus en plus sensibles à cette forme d’accueil des artistes, confirme Annie Chevrefils-Desbiolles, chef du département des Artistes et professions de la DAP, car elle offre davantage de liberté en termes de programmation artistique, de coût et d’adaptabilité aux ressources d’un territoire. » Cette idée du rapport au territoire paraît d’ailleurs souvent primordiale aux yeux des responsables de résidences. À Monflanquin (Lot-et-Garonne), l’association Pollen a renoncé depuis peu à un programme d’échange avec le Japon, jugé « hors d’échelle », pour se recentrer sur l’accueil d’artistes capables d’interagir avec le contexte de ce petit village rural. Son directeur, Denis Driffort, a conscience que Pollen – largement financée par les collectivités – joue le rôle d’une « courroie de transmission des actions artistiques dans le département ». Pour autant, il sait aussi que le rôle de l’artiste n’est pas de se transformer en animateur culturel, même si « la confusion existe dans beaucoup de structures ». À Monflanquin, l’artiste travaille librement pendant qu’un médiateur s’attache à susciter un lien avec la population locale. Et l’échec fait partie du risque assumé.
La multiplication de ce type de structures n’est toutefois pas le simple fait des collectivités. Dans un contexte de précarité grandissante des milieux de l’art contemporain, les artistes manifestent aussi leur attente. Pour le critique d’art Cédric Loire, auteur d’un travail récent sur le sujet, il existe un risque de voir la résidence devenir le « cache-misère des politiques publiques de soutien à la création » (3). Les difficultés matérielles pousseraient ainsi certains créateurs sur la voie d’un nomadisme contraint, de résidence en résidence, sorte d’aide sociale déguisée compensant la faiblesse du nombre d’ateliers et substituant des bourses aux revenus. Patrice Bonnafé, directeur des Pépinières européennes pour jeunes artistes, dresse pour sa part un constat plus optimiste : « L’idée de mobilité correspond davantage à l’esprit des jeunes artistes qui ne sont plus attachés à une galerie ou au réseau fermé de lieux institutionnels. Ils s’impliquent dans le monde, se dirigent vers les lieux de vie, vers l’entreprise, les hôpitaux ou les prisons. Leur pratique artistique est différente. D’ailleurs, nous n’employons plus le mot de “résidence”, qui ne correspond pas à la réalité de ces lieux émergents. » La résidence serait donc d’abord un tremplin pour les jeunes et, dans les faits, les limites d’âge sont courantes. Impression confirmée par le témoignage de Régis Perray lors d’un colloque récent sur le sujet (Arras, 7-8 avril 2005) : le plasticien nantais y avouait – à 35 ans – vouloir remiser ses bagages, après plusieurs années de pérégrinations entre les résidences, de Lublin (Pologne) à Kinshasa (République démocratique du Congo).
(1) Alice Bellony, Balthus à la Villa Médicis, L’Échoppe, 2003.
(2) Résidences d’artistes en France, brochure éditée par le CNAP, décembre 2003, consultable en ligne sur www.cnap.fr
(3) in Résider - Les résidences d’artistes plasticiens. Nord-Pas-de-Calais, Pays
de la Loire, Dordogne, éditions La Pomme à tout faire, avril 2004.
Exigence d’un loyer, frais de production à la charge de l’artiste, dépôt d’une œuvre en contrepartie du séjour, artiste transformé en animateur local, absence d’engagement contractuel… Un certain nombre de dérives ont pu être constatées dans la pratique de la résidence d’artistes. Or « une résidence ne doit pas coûter à l’artiste mais lui rapporter, y compris financièrement », précise Philippe Massardier. Deux initiatives parallèles pourraient enfin fournir un cadre déontologique au concept. Dans le Nord-Pas-de-Calais, l’association La Pomme à tout faire a ainsi constitué un groupe de travail chargé d’élaborer une charte de référence que devraient signer les différentes parties prenantes (institutions publiques, lieux d’accueil, collectifs d’artistes, syndicats). De son côté, le ministère de la Culture diffusera bientôt vers ses directions régionales des affaires culturelles (DRAC) une circulaire cadre visant à clarifier les enjeux et les principes généraux des résidences.
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Mythes et réalités des résidences d’artistes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : Mythes et réalités des résidences d’artistes