Entendre égréner, arrêt après arrêt, les noms de chacune des stations d’une ligne de tramway peut, à la longue, se révéler ennuyeux, voire, pour certains, virer au supplice. D’où ce travail baptisé trivialement « design sonore » qu’une municipalité, inspirée, demande parfois à un créateur au titre de la commande publique. Et dans ce domaine, les édiles alsaciens ont, semble-t-il, une bonne ouïe d’avance sur leurs collègues hexagonaux. En 2000, la ville de Strasbourg a, en effet, confié la création d’annonces sonores pour les lignes B et C de son tramway au musicien Rodolphe Burger, ex-leader du groupe Kat Onoma. Ce dernier a imaginé le projet Vox Populi, enregistrant les voix d’une centaine d’habitants. Accent alsacien ou étranger, diction impeccable ou pas, celles-ci énoncent aujourd’hui la vingtaine de stations de ces deux lignes de manière aléatoire, évitant ainsi toute forme de monotonie.
Cette année, pour ponctuer les arrêts des vingt-trois stations de son nouveau tramway – deux lignes, douze kilomètres –, la ville de Mulhouse a fait appel à un grand compositeur contemporain français, Pierre Henry, l’un des pères de la musique électroacoustique. Ce dernier, à presque 79 ans, s’est pris au jeu : « Depuis que je fais de la musique, explique-t-il, je me suis aperçu que, pour sublimer le moment, il faut remplacer l’ambiance réelle par une ambiance synthétique. En écoutant un nom de station assez peu drôle, il faut que les usagers ressentent un petit déclic, que ces annonces s’inscrivent temporellement dans leur trajet, qu’elles deviennent pour eux des repères esthétiques, voire sociaux. » Aussi Pierre Henry a-t-il livré deux séries d’annonces radicalement différentes, une pour la ligne nord-sud, une pour la ligne est-ouest. « Ce que je trouve intéressant avec l’ensemble de ces petits modules, c’est qu’ils ont l’impact d’un film publicitaire, observe le compositeur. Tout est fait à la mesure et la grande difficulté était de construire un tout qui ne dure que dix secondes. »
Dans la première série, deux voix, l’une féminine, l’autre masculine, « disent » les noms des stations de façon plutôt classique, presque officielle. Les mots, en revanche, sont cernés par des plages musicales furtives mais allègres. Le contraste entre ces sonorités électroniques et le classicisme des voix renforce, à l’oreille, la clarté de l’énoncé. « Le texte est strict, mais la musique donne le pas à l’imagination », fait remarquer Pierre Henry. La seconde série, intitulée Fantaisie en forme de dessin animé, a été construite autour de la voix du comédien Jean-Paul Farré. Chaque station est cette fois « travaillée » comme une entité autonome. Le nom est souvent répété et la voix un brin démodée de Farré dessine un personnage à part entière. Pour la station Musée-de-l’Auto, par exemple, on entend des bruits de Klaxon, voire de suspensions de voiture. Des sons restituent une ambiance de dessin animé, ménageant parfois des instants de suspense. Ce n’est plus, ici, le contraste entre les sons et les voix qui entretient l’attention des usagers, mais bel et bien la gaieté et l’humour qui se dégagent de ces « virgules » guillerettes. « J’ai voulu faire quelque chose de primesautier », assure le compositeur.
Pourtant, si les Mulhousiens connaissent bien désormais la livrée « rayon de soleil » de leur nouveau tramway, personne n’a pu encore goûter au primesaut de Pierre Henry. Quatre mois après son inauguration, le 20 mai, par Jacques Chirac lui-même, ses séquences sonores ne sont toujours pas audibles, à cause d’un problème de synchronisation informatique entre les systèmes de localisation des rames et de lancement des annonces. Mais, selon la Société d’équipement de la région mulhousienne, tout devrait entrer dans l’ordre prochainement. Enfin pourra-t-on entendre la dernière création de l’auteur des Variations pour une porte et un soupir…
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Mul-house Music
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Mul-house Music