Moatti, Rivière

Les mots et les choses

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2009 - 490 mots

On se souvient de l’étonnante façade du Musée Champollion de Figeac (Lot), inauguré en 2007 et signé par le duo d’architectes composé d’Alain Moatti et Henri Rivière.

Dès le premier coup d’œil, la maison des « Écritures du monde » annonçait la couleur : soit une façade composée de 48 panneaux de minces feuilles de cuivre dans lesquelles sont découpés à la main des signes d’écriture du monde entier. Feuilles de cuivre oxydées et enserrées entre deux plaques de verre. Deux ans plus tard, et toujours sous la baguette de Moatti et Rivière, de Figeac à Calais (Pas-de-Calais), les lettres et les mots cèdent la place au murmuré, au chuchoté. À la puissance d’évocation de l’écriture, succède l’esquissé de la dentelle. À la rigueur de l’énoncé, la sensualité du dévoilé.

Pour le Musée de la dentelle, les architectes ont, cette fois-ci, composé une façade tout en rondeurs. Une résille moulante, une peau de verre sérigraphiée, à l’aide d’émail métallisé, de motifs qui évoquent ceux des cartons Jacquard des célèbres métiers à tisser Leavers.

Un musée donc, qui combine la réhabilitation-reconversion de l’ancienne fabrique Boulart, datant du XIXe siècle, et cette addition de verre et d’acier, montée en partie sur un porte-à-faux, dans une écriture presque baroque, et dont la double courbe évoque un gracieux déhanchement.

« Nous avons voulu un objet léger, chargé de la présence d’un corps », confient les architectes. Pari tenu que vient renforcer en profondeur l’eau du canal qui borde le musée et ce ciel si bas, si souvent gris, que chantait Jacques Brel.

Plus qu’un simple musée, cet impressionnant ensemble compose, sur 7 500 m2 (dont 2 500 m2 consacrés au seul musée et 500 m2 aux espaces d’exposition temporaire), une véritable « Cité internationale de la dentelle et de la mode » au sein de laquelle cohabitent le musée (10 000 pièces de dentelle, 3 200 costumes, 4 métiers Leavers en présentation), une bibliothèque (1 500 registres d’échantillons, 2 000 livres, 10 000 revues de mode), un auditorium, une salle de défilés, des ateliers, des espaces d’échanges et de création, un restaurant et des boutiques.

Cité essentielle à la vie calaisienne, car s’il est vrai qu’en cent ans à peine le nombre des dentelliers est passé de 35 000 à 2 000, Calais n’en demeure pas moins la capitale mondiale de la dentelle (lire le JdA no 306, 26 juin 2009, p. 20).

À Figeac, Moatti et Rivière jouaient admirablement de l’immuabilité de la mémoire. À Calais, ils ont su parfaitement exprimer la fragilité, le raffinement, le luxe et la subtilité de cette dentelle qui voile et dévoile, masque et révèle dans le même temps. À chaque fois, leurs façades sont des réussites en ce qu’elles expriment au plus juste non l’objet, mais le sujet de leurs architectures. On pense dès lors à une petite phrase de Paul Valéry : « Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : Moatti, Rivière

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