À Sète, au Centre régional d’art contemporain, Michel François a conçu un parcours subtil, où toujours affleurent problématiques humaines et politiques.
Frédéric Bonnet : À travers plusieurs œuvres de cette exposition, un lien au paysage paraît plus affirmé qu’auparavant. Est-ce le cas, et s’agissait-il d’imposer la notion d’un territoire mouvant ?
Michel François : Qu’une image de paysage surgisse finalement de ces propositions ne me dérange pas ; et cela ne m’étonne pas non plus, car il s’agit toujours de territoires, un matériau circonscrit dont les bords deviennent flous et instables. Mais cet effet de paysage est un constat que je fais a posteriori ; il n’était pas dans mes intentions de traiter ce sujet frontalement. En revanche, la notion de limite, de frontière, de cadre et donc la question de la transgression ou de la fragilisation de ces limites est au cœur de ces propositions. Cette transgression s’opère par différents moyens qui peuvent être de l’ordre de la contamination, du débordement, de l’éparpillement, de l’évaporation, du creusement. Dans le contexte d’une exposition dont le titre est « Pièces à conviction », ces mouvements de matières et de formes acquièrent un contenu éventuellement plus politique, se référant aux flux migratoires clandestins, à ceux des matières illicites, etc. J’aborde ces sujets par goût pour ces extravagances avec lesquelles les hommes corrompent la matière, les lois, les frontières. Ils inventent leur survie dans l’urgence et avec une très grande ingéniosité.
F.B. : À l’instar de l’œuvre portant ce titre, il y a également une forte sensation de contamination qui parcourt l’accrochage, notamment à travers le cube de glace qui fond face à un cube de marbre noir (Deux temps, 2012), mais aussi vos pièces murales en bronze (Instant gratifications (2012), ou cette vidéo avec la carte du monde brouillée par des cercles noirs (Sans titre, 2012). En quoi la contamination est-elle un élément important ? Cette idée est-elle pour vous révélatrice d’une lecture du monde d’aujourd’hui ?
M.F. : Ces débordements, ces contaminations, ces morcellements auxquels les matériaux sont soumis concernent en tout cas le fait d’exister ; cela me dit quelque chose sur le statut du vivant, sur l’entropie. Les choses sont proposées à l’instant qui précède leur disparition, leur anéantissement ou leur changement de forme. Je m’identifie personnellement à ce mouvement, cette précarité, mais le monde entier est pris dans cette instabilité et l’incertitude est générale. Il y a toujours pour moi cette double ambition d’avoir à satisfaire des exigences qui peuvent apparaître contradictoires : proposer un objet ou une image trivial(e) et existentiel(le), trouver une forme active, provoquer des événements qui puissent assumer ce projet à la fois formel et politique. Pour cette exposition j’ai réuni des objets ou des faits qui sont les résultats d’expériences personnelles, très locales disons, mais qui développent une esthétique proche de la clandestinité, du déchet, de la dissimulation, des trafics, soit ces économies parallèles qui constituent la face cachée de notre système capitaliste dur et qui, en tant que tel, en disent long sur ses aberrations et ses injustices.
F.B. : Le titre « Pièces à conviction » évoque des éléments de preuve, qui sont aussi des facteurs de lecture et de compréhension. S’agissait-il donc pour vous ici de désorganiser les formes et les modes de lecture du monde ? De provoquer des dérèglements passant par la remise en cause de la fiabilité et des certitudes ?
M.F. : En effet on peut envisager les œuvres d’art comme des sortes de « pièces à conviction ». Elles attestent d’un fait, d’une action qui a eu lieu et dont on a la preuve sous les yeux. En tant qu’œuvres elles ont un statut à part dans le monde des objets, on leur confère une aura particulière. Comme les objets sur lesquels des empreintes ont été relevées et qui appartiennent à une procédure juridique, ils deviennent précieux et uniques. On ne regarde plus un simple objet de la même manière lorsqu’on sait qu’il a été saisi par la justice, de même s’il appartient à un musée. Ce phénomène qui consiste à conférer un pouvoir, un savoir ou une certitude aux objets est intéressant, mais peu fiable. À peine l’affaire a-t-elle été classée ou l’empreinte effacée que l’objet retourne à la masse des objets courants et indifférents. C’est une question de « conviction » dirons-nous.
Jusqu’au 30 septembre, Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon, 26, quai Aspirant Herber, 34200 Sète, tél. 04 67 74 94 37, crac.languedocroussillon.fr, tlj sauf mardi 12h30-19h, samedi-dimanche 14h-20h
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Michel François - « Je questionne la transgression »
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Abonnez-vous dès 1 €Michel François Deux temps (2012) - Marbre noir, eau, production CRAC LR et Michel Françis - courtesy galerie Kamel Mennour - Paris © Photo : Marc Domage
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Michel François - « Je questionne la transgression »