À la Maison européenne de la photographie, l’un des précurseurs américains de la photographie couleurs revendique une « street photography » émotionnelle.
PARIS - « La photographie est comme une fragrance : elle capture et retient de la rue, pleine de vie, les instants d’éphémères passages », confie le New-Yorkais Joel Meyerowitz, à l’honneur à la Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris. Depuis cinquante ans, ce reporter du quotidien capte l’air du temps en couleurs. Muni de son appareil 35 mm, le photographe de rue, né en 1938 dans le Bronx, saisit des scènes cocasses à New York ou Paris dès les années 1960, tandis qu’à la chambre ce coloriste médite sur des couchants « à l’heure bleue magique où se voient des détails », observe-t-il. Portraitiste, il frissonne, dit-il, en visant le grain de peau de baigneuses juvéniles. « Dans les années 1960-1970, le film Kodachrome était le plus élégant matériel qui ait jamais existé. Son rendu de la chair, de l’air, de la lumière m’intéressait », se souvient le photographe.
Alors que sa rétrospective évoque un tournant décisif de la photographie du XXe siècle, on peut regretter la substitution d’épreuves numériques à ses Dye-Transfer et tirages Ektacolor d’époque : « Pour moi la beauté est là où la couleur respire doucement », explique l’auteur de « Cape Light » (1978-1979), des images léchées de littoral. « Les photographes de ma génération ont rejeté le sentiment », reprend Meyerowitz, qui s’est mêlé en 2001 aux grutiers, héros photographiés en pied déblayant les décombres du World Trade Center. Plus vaste que sa rétrospective « Out of the Ordinary 1970-1980 » organisée au Jeu de paume en 2006, cette exposition, venue du Festival PhotoMed à Toulon, illustre ses propos : « Ma photographie de rue se situe toujours à l’intérieur de l’expérience. »
« Marquer une coupure »
Sa vocation naît d’une rencontre en 1962. Il est directeur artistique d’une agence publicitaire à New York lorsqu’il suit Robert Frank réalisant une commande. Dès le lendemain, Meyerowitz s’improvise photographe. Un jour de 1963 qu’il sillonne sa ville avec le photographe Tony Ray-Jones, le débutant âgé de 25 ans croise un mythe : « En trench élégant, Henri Cartier-Bresson mitraillait la parade de la St. Patrick en exécutant une sorte de ballet. En l’observant j’ai appris l’invisibilité. » À cette époque, ainsi que le montre la MEP, sa pratique fait alterner le noir et blanc conventionnel du style documentaire et la couleur, qui connote l’amateur et la publicité. Pour railler les loisirs absurdes des Américains au temps de la guerre au Vietnam, Meyerowitz opte définitivement pour la couleur en 1970. Le moyen de s’affranchir de ses maîtres ? « Leur génération était celle du noir et blanc. La mienne, celle de la couleur. Il fallait marquer une coupure », justifie-t-il. En 1976, le conservateur John Szarkowski expose William Eggleston, puis Stephen Shore au MoMA en professant que la fonction première de la photographie est descriptive. « J’ai compris que, si c’était vrai, alors la couleur offre une plus grande palette de contenus et d’émotions », écrit Meyerowitz (1) à propos de ses « photographies de champ » : un nouveau type d’image, confus, dont les événements multiples sont mis sur le même plan.
À l’opposé, ses panoramiques rutilants et ses portraits choisis magnifient en 2001 une Amérique qui se relève de la tragédie de Ground Zero. Seul photographe autorisé sur ce site classé « scène de crime », Meyerowitz fait le jeu d’un témoignage tronqué de l’Histoire. Les photos de corps sont prohibées. La presse est bannie. « Le maire de New York refusait que l’on fasse de l’argent sur les morts. Le plus simple était d’interdire l’accès », justifie l’auteur de la série « Aftermath » qui aurait emprunté 200 000 dollars (environ 220 000 euros) pour produire 8 000 images d’archives dont il a offert un jeu au musée de la Ville. Un acte patriotique ? Dès décembre 2001, une exposition voulue par le général Colin Powell a fait le tour du monde. « Je n’ai reçu aucune directive, ce n’est pas de la propagande », se défend Meyerowitz qui s’en est retourné à des natures mortes composées d’éléments bizarres photographiés dans l’obscurité.
(1) dans son texte « Lâcher prise, 1974-1976 ».
jusqu’au 7 avril, Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 00, www.mep-fr.org, du mercredi au dimanche 11h-20h. Livre Joel Meyerowitz : Taking my time, éd. Phaidon, 2012, (1 500 expl.), 400 ph. coul. et 180 ph. nb, 688 p., 2 vol. sous coffret avec un tirage signé de Paris, France, 1967 et un DVD du film Pop, 650 €.
Commissaire : Joel Meyerowitz Nombre d’œuvres : 130 épreuves modernes en noir et blanc et en couleurs Exposition organisée par la MEP en collaboration avec l’hôtel des Arts de Toulon et le festival PhotoMed
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Meyerowitz ou la couleur des sentiments
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Meyerowitz ou la couleur des sentiments