Très dynamique et attractive, la capitale du Mexique est à la recherche d’un second souffle artistique.
MEXICO - Attendu et fort couru, le vernissage de l’exposition « Esquiador en el fondo de un pozo », à la Colección Jumex, a sans conteste été le point culminant de la rentrée mexicaine, à la fin du mois d’août, parachevant une semaine riche en événements, concomitante cette année avec la tenue du Sitac (Symposium international de théorie sur l’art contemporain) dans la ville.
Avec près de 200 œuvres et de 90 artistes, le régisseur français de la collection, Michel Blancsubé, offre une lecture assez jubilatoire de l’ensemble constitué par le milliardaire Eugenio López Alonso et riche aujourd’hui de quelque 1 500 pièces. D’entrée, une structure labyrinthique, offrant trois points d’accès au visiteur, conduit ce dernier à littéralement se perdre dans les salles, à revenir sur ses pas et donc à revoir des œuvres qu’il avait peut-être considérées trop vite… Tel un jeu de piste, cet « anti-parcours » nous fait traverser la paroi dessinée et pivotante de Gary Simmons (Blured Scapes, 1998), ouvrant, au choix, sur le corridor couvert de néons blanc froid et blanc chaud d’Iñaki Bonillas (Corredor de luz, 2004) ou sur une salle très sombre. Ici, des reproductions minutieuses, à la pointe, de portraits d’enfants disparus publiés dans des journaux nous interpellent par leur sourde violence (Ilán Lieberman, Niños perdidos, 2005-2006).
Ailleurs, Annette Messager enchante avec son Attaque des crayons de couleurs (1996), quand Dr. Lakra ponctue les espaces avec des photos anciennes sur lesquelles il intervient, drôle et irrévérencieux, dessinant un squelette se masturbant à côté d’une sage jeune femme (Untitled (Grupo 1), 2006), ou transformant en zombie un enfant posant au côté de sa mère (Untitled (Madre e hijo), 2006). Des collages d’Angus Fairhust (Three Pages from a Magazine, Body and Text Removed, 2003), une vitrine réfrigérante de Gabriel Kuri enfermant des vêtements sur cintre (Untitled (Fridge), 2003) ou une ligne verticale de punaises peintes en couleur par Tom Friedman (Untitled (Balls), 1999) sont aussi de la partie. Entre révélation et disparition (une chambre secrète abrite des gravures érotiques de 1923 de l’Autrichien Hans Pellar), l’exposition joue la carte des contrastes et des ruptures d’échelle, et se fait fort de briser quelques certitudes.
Le nombre important – près d’une vingtaine – d’événements et d’inaugurations à Mexico la même semaine a particulièrement souligné le dynamisme de la métropole latino-américaine, avec des propositions fort contrastées. Parmi les plus intéressantes, la réouverture du Museo Experimental El Eco. Lié à l’Université nationale autonome du Mexique, fondé en 1953 avant de fermer ses portes au cours des années 1960, cet espace à l’architecture remarquable est voué aux expériences in situ. Il retrouve une jeunesse sous la houlette de Guillermo Santamarina, avec des projets de grande ampleur tel le mural vert et noir peint par Fernando García Correa, ou les deux interventions monumentales de Luciano Matus, reliant à l’aide de fils de nickel d’immenses blocs de béton au bâtiment.
Territoires personnels
À la Galería de Arte Mexicano, l’exposition « We Have the Duchamp… », concoctée par les artistes Stefan Brüggemann et Mario Garcia-Torres, explore les legs de l’art conceptuel en réunissant les œuvres, souvent textuelles et économes en effets, de Jenny Holzer, Simon Popper, Mathieu Laurette ou Los Super Elegantes. Au même moment, chez Aldabarte, Ariel Guzik convoque des machines étranges pour étudier bruit, langage et faculté de réception, tandis que, au Museo de Arte Carrillo-Gil, Gonzalo Lebrija documente son voyage de San Diego à Mexico en photographiant les paysages reflétés sur le réservoir chromé de sa moto (R75/5 Toaster, 2006).
En définitive, les stratégies collectives qui ont conduit, au cours de la décennie écoulée, à la reconnaissance mondiale de Mexico comme scène artistique, notamment à travers un intense travail sur la ville et le territoire, ont tendance à régresser, à se réorienter. Nombre d’artistes privilégient aujourd’hui les comportements individuels et se détachent du label « Made in Mexico ». Dans son film Recall Total (2002-2006), présenté à la Sala de Arte Público Siqueiros, Jonathan Hernández reprend une scène du film-culte post-apocalyptique, partiellement tourné dans le métro de la ville. Partant, il s’interroge sur les « conditions du désastre » et offre une autre lecture d’un contexte dont la contingence exotique semble aujourd’hui émoussée et en voie de diversification, si ce n’est de disparition.
Jusqu’au 28 février 2007, Colección Jumex, VÁa Morelos 272, Santa MarÁa Tulpetlac, Ecatepec, Mexique, tél. 52 55 5775 8188, www.lacoleccionjumex.org, du lundi au vendredi 10h-17h. Catalogue, éd. Colección Jumex, 308 p., 240 ill., ISBN 968-5867-01-1.
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Mexico, à la croisée des chemins
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : Michel Blancsubé - Nombre d’artistes : 90 - Nombre d’œuvres : plus de 200
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°243 du 22 septembre 2006, avec le titre suivant : Mexico, à la croisée des chemins