Coutumier des ambiances où se mêlent harmonieusement l’onirique, le réel et le virtuel, Mathieu Briand (né en 1972 et basé à Marseille) expose à Redcat, un espace dépendant de CalArts, à Los Angeles. Montrant pour la première fois aux États-Unis sa spirale où platines et graveur de vinyle invitent à un tourbillon sans fin d’élaboration musicale (SYS*011. Mie>AbE/SoS\\ SYS*010, 2002), et ses casques permettant la perception du regard d’un autre (SYS*05.ReE*03/SE*1\\ MoE*2-4, 2000), il y ajoute une œuvre inédite et fascinante qui constitue une incursion physique dans la fiction culte de Stanley Kubrick.
Votre exposition à Los Angeles s’intitule « UBIQ: A Mental Odyssey », en rapport à la nouvelle œuvre que vous y présentez. Quelle est la signification de ce titre ?
Il s’agit d’une fusion de deux références bien précises, le roman Ubik (1969), de Philip K. Dick, et le film 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968), de Stanley Kubrick. La modification de ces deux titres et l’insertion de mon concept de migration mentale préfigurent la forme de l’exposition. En associant deux œuvres existantes et en y insérant la mienne, je crée un contexte abyssal, une réaction en chaîne où tous les éléments ne cessent de s’entrechoquer et de se répondre les uns les autres.
Cette nouvelle œuvre est une fenêtre à travers laquelle le visiteur peut observer le mouvement des planètes. Quel en est le dispositif ?
C’est une réplique exacte des fenêtres de la station orbitale du film 2001. On voit, à travers la fenêtre, la Terre se déplacer dans l’espace, comme si l’on était physiquement présent dans cette station circulaire. Il s’agit d’un simulacre en 3D couplé à un site Internet de météorologie qui y introduit en temps réel des éléments atmosphériques, réels eux aussi, tels des nuages. Je pense qu’il n’y a rien de plus vrai que ce mélange de réel et de virtuel à travers les canaux de perception physique qui sont les nôtres.
S’agit-il d’une tentative pour recréer des sensations fantasmatiques liées à la découverte spatiale, qui évoque à chacun des rêves d’enfance ?
Non, mais je me sers d’un lieu commun qui est le vocabulaire spatial de la science-fiction. C’est le monde complètement fictif le plus complexe qui ait jamais été créé. Il y a des langues, des systèmes de communication, de déplacement, d’habitation… Chaque détail, telles une porte ou une fenêtre, connaît comme dans notre monde réel une multitude de possibilités. C’est un monde dont, paradoxalement, les codes nous sont parfaitement connus et que l’on a tendance à considérer comme banal. Nous pouvons donc penser qu’utiliser un élément fondateur comme la fenêtre de 2001, qui est devenu le film référent pour ce monde complexe, permet de décharger tous nos fantasmes. C’est un monde schizophrène dans lequel on se protège, dans lequel on crée de l’ubiquité. C’est aussi pour cette raison que je l’associe par son titre à l’œuvre de Dick.
Vous employez le terme d’« odyssée mentale ». En quoi est-ce une odyssée ?
L’odyssée sous-entend le parcours d’un destin auquel on ne peut se soustraire. L’odyssée mentale est le déroulement d’une pensée contrainte par les accidents qui l’entourent. La notion d’ubiquité permet à chaque accident de créer une nouvelle trajectoire, de démultiplier le destin et donc de complexifier l’espace mental.
L’exposition comprend deux œuvres plus anciennes, dont vos casques et la spirale, vue au Centre Pompidou et au Musée d’art contemporain de Lyon. Quelle importance accordez-vous au contexte de présentation ?
Il n’est pas question de faire une nouvelle œuvre, mais de développer un nouveau contexte par l’adjonction de nouveaux éléments, comme la couleur, les lumières, des images en mouvement…
Dans l’ensemble de votre travail, vous jouez avec la notion de participation du public, à travers la découverte et la perception. Souhaitez-vous y mêler ici la part du rêve et de l’utopie ?
Plutôt que le rêve : le songe, la semi-conscience, l’entre-deux. L’utopie est dans mon travail une utopie mentale, ce que représente clairement Ubiq.
Diriez-vous que, par l’engagement que vous suscitez chez le spectateur, vous avez une conception ouverte de l’œuvre ?
Le statut de l’œuvre est en perpétuelle mutation, parallèlement à celle de la société. Je déplace juste le spectateur du bord vers le centre. Je ne pense pas imposer quoi que ce soit, mais proposer.
Pensez-vous votre œuvre comme une invitation à pénétrer des mondes ?
Je préfère la notion de révélation. L’œuvre permet parfois de nous révéler et donc de révéler le monde qui nous entoure. Ce monde apparaît alors comme multiple, complexe et souvent irrationnel. L’œuvre est un filtre de révélation.
Jusqu’au 18 juin, The Gallery at Redcat, Roy and Edan Disney/CalArts Theater, 631 West 2nd Street, Los Angeles, tél. 1 213 237 2800, www.redcat.org, tlj sauf lundi 12h-18h.
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Mathieu Briand
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Mathieu Briand