Par quelle enchantement quelques traits dessinés sur une toile, une feuille, parviennent-ils à nous procurer une émotion esthétique ? Par quel envoûtement un simple jeu de lignes, droites ou courbes, nous touche-t-il si profondément ? Voilà un mystère qui nous taraude chaque fois que nous regardons un dessin de Marine Pagès.
Pourquoi celui-ci s’impose-t-il à nous comme une évidence ? Pourquoi nous semble-t-il si familier, lui qui, a priori, ne reproduit rien de connu ? Mystère de l’art, dira-t-on… Une réponse un peu courte. Aucun mystère n’échappe à sa propre loi, pas même celui de l’univers. Pourquoi l’art y échapperait-il, alors ?
Venons-en à l’essentiel, à l’œuvre. Marine Pagès échafaude depuis 2018 une série qu’elle intitule Les Intermédiaires, une suite de dessins composés d’armatures flottant dans un espace infini. L’artiste commence par tendre sa feuille de papier, qu’elle recouvre patiemment de jus d’encre. D’une délicieuse richesse, les fonds colorés qui apparaissent composent autant de mers étoilées où le regard, à la dérive, jamais ne peut jeter l’ancre. Une fois les fonds préparés, Marine Pagès dessine au crayon de couleur, au graphite ou à la gouache, un réseau de lignes droites qu’elle duplique ensuite, comme une ombre portée. De là naît l’illusion de la profondeur, de l’épaisseur. Ces lignes ne se croisent pas. Elles reposent les unes contre les autres, se soutiennent pour former de fragiles structures à l’équilibre incertain. Si elles suggèrent une architecture, un mobilier, parfois même un corps, ces structures ne renvoient pourtant à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Marine Pagès n’est ni architecte ni designer, elle est artiste. Ses objets de dessins n’ont d’autre finalité que de traduire les subtils équilibres du monde. Et c’est ce qui nous les rend si familiers. Si justes.
Des équilibres en déséquilibre. Parallèlement aux Intermédiaires, Marine Pagès poursuit une autre série : Les Formes molles. Dans les chutes de ses fonds préparés, l’artiste dissèque de fines bandes de papier qu’elle joint ensuite les unes aux autres pour former de fragiles constructions aériennes. Dessins dans l’espace. Suspendues à un clou, les lignes sont courbes. Cette fois, Les Formes molles s’affaissent. Libéré de la feuille, le dessin ploie sous son propre poids. Quand LesIntermédiaires renouent avec l’architecture de Giotto, Les Formes molles retrouvent la pesanteur des corps de Pontormo. Les regarder, c’est faire l’expérience de la gravité, celle de la Déposition. Là réside la puissance de ces dessins : saisir l’équilibre de la vie ; traduire, en quelques lignes, l’épaisseur du monde. Finie la boussole, l’œuvre de Marine Pagès est une carte. De celles qui nous conduisent à l’essence même des choses.
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Marine Pagès
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Marine Pagès