PARIS / ST-ETIENNE
Paris et Saint-étienne - Même aux férus de botanique, les noms d’Hibiscadelphus wilderianus, d’Orbexilum stipulatum et de Leucadendron grandiflorum sont peu susceptibles d’évoquer quoi que ce soit : ils désignent trois plantes éteintes au cours du XIXe siècle, à la suite de la destruction par l’homme de leurs biotopes, situés respectivement à Hawaï, dans le Kentucky et en Afrique du Sud.
Jusqu’à ce début d’année, il n’en subsistait dans quelques herbariums, dont celui de l’université d’Harvard, que de rares spécimens desséchés, éléments inertes d’une taxinomie. Leur parfum légendaire – part la plus sensible et la plus immatérielle de leur existence – était quant à lui tout à fait perdu. Loin de leur habitat naturel, deux expositions offrent pourtant ce mois-ci la possibilité d’en approcher l’odeur, via une installation immersive présentée pour la première fois dans « La Fabrique du vivant » au Centre Georges Pompidou Paris et à la Biennale du design de Saint-Étienne. Ressurecting the Sublime (littéralement : la résurrection du sublime) se présente sous la forme d’un caisson noir suspendu, que jouxte une roche basaltique, évocation d’Hawaï où s’épanouissait jadis Hibiscadelphus wilderianus. En y plaçant la tête, on est submergé par un parfum subtil, aussi agréable qu’inédit : celui des fleurs disparues.
En regard de l’installation, des images et une vidéo documentent ce processus de « résurrection », qu’on doit à trois artistes. La première, Alexandra Daisy Ginsberg, est anglaise et s’intéresse à la biologie synthétique, aux frontières du design et de la science. Pour mettre en œuvre Ressurecting the Sublime, elle s’est associée à Christina Agapakis, artiste et directrice créative de la société Ginkgo Bioworks, un laboratoire américain de biotechnologie. La re-création olfactive synthétique des trois plantes a enfin sollicité la participation de Sissel Tolaas, que sa formation scientifique (en chimie et mathématiques) a orienté dès le milieu des années 1990 vers l’exploration des odeurs, ce support négligé de l’identité et de l’information. On lui doit notamment la reconstitution du « parfum » des tranchées de la Grande Guerre, la réalisation de cartographies olfactives de Paris, Berlin ou Mexico, et même la fabrication de fromages à partir de bactéries trouvées dans des oreilles humaines ou de vieilles baskets.Avec l’aide des paléo-généticiens de l’université de Santa Cruz (Californie), les trois artistes ont analysé l’ADN d’Hibiscadelphus wilderianus, d’Orbexilum stipulatum et de Leucadendron grandiflorum, qu’elles ont sélectionnées pour leurs supposées qualités olfactives. Une fois synthétisées, les séquences de gènes ont été insérées dans de la levure et cultivées. Des molécules ainsi produites, elles ont ensuite extrait des arômes censés rappeler le parfum initial des trois plantes.
À l’heure où la science annonce que la sixième extinction de masse est en cours et augure la possibilité d’un monde singulièrement appauvri, Ressurecting the Sublime produit un sentiment ambigu, où l’espoir le dispute à la nostalgie. Si l’art ne nous rendra pas les paysages ni les fleurs que nous avons détruits, il peut au moins en extraire la quintessence, nous dit en substance l’œuvre. À défaut de démiurgie, il se fait consolateur.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’odeur du monde perdu
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°722 du 1 avril 2019, avec le titre suivant : L’odeur du monde perdu