Redécouvert en 2016 par une exposition à Roubaix et à Bordeaux, le dessinateur et peintre est présenté à Paris dans une exposition du Musée de Montmartre. Celle-ci fait la part belle à tous les pans de la production singulière et polymorphe de Georges Dorignac.
Georges Dorignac fait partie de ces artistes qui échappent à toute tentative de définition. Selon les termes de Saskia Ooms, co-commissaire de l’exposition du Musée de Montmartre, cet « artiste phénix » s’est plusieurs fois « réinventé », passant d’un style à un autre, parfois sans solution de continuité. Né en 1879 à Bordeaux, Léon-Georges Dorignac voit ses dons en dessin tôt repérés par un instituteur. À 13 ans, il intègre l’École municipale des beaux-arts de Bordeaux et, à 19 ans, entre aux Beaux-Arts de Paris. Il y reste six mois seulement, préférant s’installer à Montmartre avec sa compagne, et bientôt ses quatre filles. Pour nourrir sa famille, il commence par peindre des œuvres « à la mode » se vendant bien en ce début de XXe siècle : des portraits ou scènes de vie familiale impressionnistes, largement inspirés de ses aînés, puis, à partir de sa rencontre avec Signac en 1906, des paysages aquarellés de style pointilliste.
Deux « ruptures » quasi contemporaines, au début des années 1910, orientent son œuvre vers des voies résolument personnelles. Celle de la période dite « noire » advient vers 1911 alors que Dorignac, ruiné à la suite d’une escroquerie, vient de s’installer avec sa famille dans la cité d’artistes La Ruche. Y résident de nombreux peintres venus d’Europe de l’Est, Zadkine, Chagall ou Soutine. Là, Dorignac, sans doute porté par un climat d’effervescence artistique, réinvente son œuvre. Délaissant la couleur et le pointillisme pour se consacrer au seul noir, il réalise des dessins d’une matière dense et moelleuse, obtenue grâce à un mélange de fusain ou d’encre noire et de gomme arabique. Des visages « masques », des nus ramassés sur eux-mêmes ou encore des travailleurs en effort y occupent tout l’espace. Comme fondus dans du bronze, ces têtes et ces corps d’ébène frappent par leur aspect sculptural. Aspect qui conduit nombre de ses contemporains à rapprocher son travail de celui d’un sculpteur. « Dorignac sculpte ses dessins », déclare Rodin. Il « creuse dans la profondeur des corps, comme le sculpteur dans la masse des pierres », Gaston Meunier du Houssoy, son fidèle mécène. Réalisés jusqu’en 1914, ces « dessins sculptés » valent à Dorignac une belle réputation de son vivant. C’est aussi grâce à eux que son nom réapparaît dans les années 1990, au Salon du dessin à Paris. On doit sa redécouverte au conservateur Pierre Rosenberg. Pour rendre justice à celui qu’il qualifie de « magnifique dessinateur », Rosenberg incite Marie-Claire Mansencal, présidente de la Société des amis du Musée des beaux-arts de Bordeaux et amatrice de dessins, à écrire la première monographie de l’artiste. Elle sera publiée en 2016, année où Dorignac est exposé pour la première fois en France, à la Piscine de Roubaix et au Musée des beaux-arts de Bordeaux.
Ces dessins ne sont toutefois qu’un pan de sa production. Car Dorignac poursuit un autre idéal, à propos duquel il évoque « des dons reçus de plus loin, l’héritage partiel d’un trésor de haute création ». Dès 1913, et jusqu’en 1923, il réalise de grands cartons pour des tapisseries, des mosaïques ou des vitraux. Dans un style foisonnant, franchement éloigné de ses dessins, ces œuvres mêlent toutes sortes de références, religieuses ou profanes. Les sources en sont multiples, de la statuaire romaine à celle des Khmers en passant par les icônes byzantines. Ces « trésors », extrêmement coûteux et ambitieux, resteront tous à l’état de projet. Dessins « au noir » et projets de décors semblent étrangement être de la main de deux artistes différents. Ils sont pourtant bien du même. Comprendre un tel écart stylistique n’est pas chose aisée. « Ce défenseur du beau a mis sa vie au service d’une grandeur qui l’habite », avance sa spécialiste Marie-Claire Mansencal, également co-commissaire de l’exposition du Musée de Montmartre. Là réside probablement une explication : la quête du beau, quels qu’en soient ses aspects. Et Marie-Claude Mansencal de s’interroger, en donnant à imaginer : si Dorignac n’avait pas été prématurément happé par la mort, à l’âge de 46 ans, « dans quelle voie aurait-il poursuivi ? »
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L’insaisissable Dorignac
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°723 du 1 mai 2019, avec le titre suivant : L’insaisissable Dorignac