Art contemporain - Centre d'art

Coulisses

L’industrie de l’image

Le LiFE de Saint-Nazaire redonne à voir l’iconique installation « Deep Play » d’Harun Farocki

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 28 février 2017 - 441 mots

SAINT-NAZAIRE - Malgré le temps passé (une dizaine d’années) et les évolutions technologiques considérables qui, entre-temps, pourraient faire passer certaines images pour des antiquités, Deep Play, œuvre culte d’Harun Farocki (1944-2014) terminée pour la documenta 12 de 2007 où elle fut initialement présentée, reste d’une parfaite acuité.

Présentée au LiFE à l’initiative de Sophie Legrandjacques, la directrice du centre d’art le Grand Café, l’imposante projection simultanée sur douze écrans est à son aise dans le cadre toujours imposant de la base navale de Saint-Nazaire. Prenant pour objet la finale de la Coupe du monde de football de 2006, événement planétaire suivi sur les écrans du monde entier par plus de 700 millions de téléspectateurs, Harun Farocki s’est attaché ici à disséquer et analyser non seulement le jeu qui opposa à Berlin la France à l’Italie, mais aussi et surtout tous ses à-côtés… et ils sont nombreux !

Fabrication de l’information
C’est sur le premier écran qu’est diffusé ce qui semble être un enregistrement direct, celui proposé aux chaînes de télévision, à ceci près que sont audibles en voix off les instructions du réalisateur, quant au choix des caméras et des plans, et que sont données des informations sur la vitesse et le rendement des joueurs. Puis, sur un deuxième plan fixe sur l’extérieur du stade avec les échanges radio de la police allemande en off, confrontée à des problèmes de faux billets, tandis que sur le dernier ce sont les caméras de surveillance du stade qui sont à l’œuvre. Et puis, le jeu s’emballe et la technologie aussi. Sur un écran sont individuellement suivis sept joueurs italiens et sur un autre six Français, où sont étudiés leurs actions et déplacements. Puis apparaissent de véritables analystes qui rentrent en temps réels les données du match dans des ordinateurs, tandis que sur un autre écran c’est une analyse après coup qui est délivrée, avec des algorithmes traduisant le jeu en langage verbal…

Ce qui est fascinant dans cette œuvre, c’est qu’elle révèle ce que l’on savait déjà, mais que l’on ne voyait pas : comment est produite l’image de la performance sportive, mais surtout comment toutes les données analysées servent à modeler le sport lui-même, par le biais de l’image numérique notamment. Car il ne s’agit pas là  d’une simple retransmission sportive, mais d’une plongée dans la fabrique de l’image qui façonne notre rapport au monde et in fine à la réalité. Une réalité qui apparaît modelée et en partie anticipée, bien loin de la spontanéité qu’elle semble revendiquer, avec en creux cette question suspendue : est-ce l’image qui est conforme à la réalité ou la réalité qui est conforme à l’image ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : L’industrie de l’image

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