Quand le caractère humain est mis à l’épreuve à la seule fin d’exister… Avec un accrochage très dépouillé, le Carré d’Art de Nîmes revient sur l’œuvre aride et sans concession de l’artiste canadienne.
NÎMES - Subir ou lutter ? Suivre le cours des choses tel qu’il se présente ou lui opposer l’énergie de la résistance ? Telles sont en substance les interrogations essentielles posées par les œuvres de Jana Sterbak réunies au Carré d’Art, à Nîmes.
D’emblée, et avec finesse, l’exposition place le visiteur à l’épreuve des limites et de l’entrave à la volonté, lorsque dans le hall se déploie Hard Entry (2003). Un ensemble de récipients en verre transparent qui peuvent s’imbriquer par séries de cinq ou neuf, et dont la forme est inspirée de celle des bols des moines zen Rinzai. Or, si l’acte de toucher ces objets très attirants est défendu par le contexte muséal, il l’est aussi par leur nature même, tant leur poids intense, pourtant insoupçonnable, en rend pénible la manipulation.
Vulnérabilité et équilibre
À l’opposé, c’est une autre forme de contrainte et de résistance qui clôt le parcours, avec l’installation Sisyphe III (1991). Une structure métallique, semblable à une cage ovoïde dont la moitié supérieure aurait été tronquée, repose au sol, alors qu’un film 16 mm montre combien un homme inséré dans cette « sculpture » déploie d’efforts physiques pour tenter de la (de se) maintenir en équilibre. Le mouvement n’est pas dicté par une quelconque logique, si ce n’est celle de la précarité qui impose de constamment bouger pour ne pas se laisser tomber. Dans le présent contexte, et vu l’ardeur qu’y emploie le personnage, la quête d’équilibre semble s’apparenter à une lutte pour la survie et prend presque une tournure héroïque. Celle-ci est d’autant plus frappante que l’apparente inutilité de l’action ramène à un quotidien banal, à l’image de l’individu lambda se débattant dans le monde. Ce qu’évoque l’artiste en déclarant qu’« enfant, on pense toujours que tout ira bien à l’âge adulte, mais ce n’est pas vrai, on doit toujours affronter un nouveau défi. »
L’exposition met particulièrement l’accent sur la question de la vulnérabilité patente des hommes et des choses, ainsi que le montre la réactivation des célèbres chaises de glace Dissolution (Auditorium), (2001), à saluer compte tenu des difficultés de gestion technique qu’elles imposent au musée. Des objets ne survit, après sept heures de fonte et de déformations progressives, que la structure métallique alors que leur unique double en verre résiste, imperturbable Narcisse (2001). À la fois douce et violente, la confrontation des deux œuvres s’impose tel un Memento mori contemporain, d’autant plus efficace qu’apparaît vaine toute forme de lutte pour enrayer le processus.
Une œuvre sous tension
Comme en contrepoint, l’électricité est également très présente avec une sélection d’œuvres où pointent abruptement la tension entre les êtres et les difficultés engendrées par les relations humaines. Quand une robe en résille métallique est rendue inapprochable par le fil électrique non isolé qui l’enserre (I Want you to Feel the Way I Do… The Dress (1984-85)), un lit de métal invite à la rencontre mais délivre une faible décharge lorsqu’on le touche (Seduction Couch (1986-87)), assimilant l’attraction à une menace.
Beaucoup de travaux montrent à quel point Jana Sterbak s’est toujours impliquée dans le protocole scientifique de l’œuvre d’art, cherchant sans cesse à en repousser les limites. From Here to There, présenté dans le Pavillon canadien de la Biennale de Venise en 2003, est à cet égard exemplaire, l’artiste ayant procédé à un double transfert. Technologique tout d’abord, le film projeté ayant été tourné par une caméra embarquée sur un chien se déplaçant selon son bon vouloir. Perceptif ensuite, puisque c’est justement l’instinct de l’animal qui a dicté le déplacement de l’objectif. Si cette vidéo appuie singulièrement sur le problème de l’intention, qui souvent se révèle différente de la réalisation, elle est aussi une preuve que l’instabilité n’est pas toujours à voir comme un facteur menaçant. L’exploration chère à l’artiste s’y révèle comme une nécessité pour survivre aux empêchements imposés par le monde alentour, mais n’en ouvre pas moins de nouvelles voies d’exploration. Telle une funambule, Jana Sterbak trouve un équilibre et trace un chemin sur la nécessaire tension qui, entre liberté et contrainte, définit une œuvre profondément et nécessairement humaine.
- Commissaire : Françoise Cohen, directrice du Carré d’Art - Nombre d’œuvres : 19 - Nombre de salles : 9
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Libre contrainte
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 janvier 2007, Carré d’Art, place de la Maison Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, co-éd. Actes Sud/Carré d’Art, 120 p., 60 ill., 35 euros, ISBN 2-7427-6330-9
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Libre contrainte