PARIS - « J’ai besoin d’exprimer une originalité, une excentricité artistique qui corresponde à la majesté et au désespoir de la vie humaine », avertit le photographe Joel-Peter Witkin (né en 1939 à New York) dans l’ouvrage Enfer ou Ciel accompagnant l’exposition éponyme qu’organise la BnF (Bibliothèque Nationale de France) autour d’Éros et le Sacré.
Ses portraits, ses nus d’êtres difformes, mutilés, ses natures mortes fantastiques de restes humains suscitant le rejet ont mis à l’écart cet esthète de la chair qui proclame sa foi en Dieu dans la souffrance, l’extase et la mort. Sa quête existentielle aboutit à une vision détachée du sujet, plus apaisée, conjointement montrée à la galerie Baudoin Lebon.
Foisonnant jusqu’à saturation, le parcours accumule des expérimentations inusitées qui violentent la photo argentique tout en soulignant sa relation historique avec la gravure. « En offrant dès 1851 leurs œuvres au département des Estampes de la BnF à l’instar des graveurs, les photographes [primitifs] se sont affiliés dans la succession de la gravure et ses multiples. Cette relation s’applique au cas de Witkin, lui-même graveur, à travers son travail photographique d’interprétation de l’art classique fait d’incisions, d’abrasions, de griffures [du négatif et du tirage] », souligne Anne Biroleau, commissaire et conservateur en chef du département des Estampes et de la Photographie à la BnF. L’Autoportrait, évocation du portrait en vanité (1994), Leda donnant un préservatif à son amant (2011) ou Poussin aux enfers (1999) trouvent une conclusion dans la parabole « witkienne » Le Chien (2011), vu en apôtre.
Les mises en scènes équivoques que Witkin tire de récits mythologiques, bibliques, du macabre médiéval, du romantisme noir comme de pratiques érotiques extrêmes, sont mises en regard d’un choix de gravures d’Albrecht Dürer, Francisco de Goya, James Ensor, Félicien Rops ou Pablo Picasso. « Witkin empoigne la chair du mort par le vif. Un combat avec cette chair se produit dans la photo comme en nous-même », perçoit Anne Biroleau. La noirceur aquafortiste de l’œuvre « witkienne » renvoie aux inquiétudes religieuses baudelairiennes, à L’Érotisme de Georges Bataille débrayant la morale, comme à l’essai ontologique Principes d’une esthétique de la mort de Michel Guiomar. Enfer ou Ciel ? « Toute mon œuvre se rapporte au fait que nous ne savons pas comment vivre et ne le saurons jamais », conclut Witkin.
- Commissaire : Anne Biroleau, conservateur général du département des Estampes et de la Photographie, BnF
- Nombre d’œuvres : 81 photos en noir et blanc de Joel Peter Witkin et 45 gravures du XVIe au XXe siècles (fonds de la BnF)
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L’étrange et troublant Witkin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : L’étrange et troublant Witkin