Pologne

À l’Est, du nouveau… dans le design

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2013 - 1072 mots

Depuis peu, la Pologne commence à promouvoir activement son design à l’étranger. Mais à l’intérieur du pays, les entreprises tardent à faire appel à la nouvelle génération de designers locaux.

VARSOVIE - Le fait est loin d’être une anecdote. Lorsque, en 2008, Lidewij Edelkoort, directrice depuis une décennie de la célèbre Design Academy d’Eindhoven, aux Pays-Bas, quitte avec perte et fracas, l’institution pour cause de divergence avec la politique municipale, elle songe déjà à rouvrir une école de design ailleurs. Nombre de villes sont alors évoquées, parmi lesquelles Moscou. Tandis qu’à Paris, où cette figure emblématique de la scène du design international et spécialiste des tendances a fondé en 1991 son bureau – Studio Edelkoort –, d’aucuns se prennent à rêver d’une nouvelle institution sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), au sein du projet concocté par l’architecte Jean Nouvel. Un homme d’affaires prendra les devants, s’envolant fissa vers Eindhoven pour rencontrer la dame. Piotr Voelkel, fondateur du Groupe Capital Vox (matériaux de construction et mobilier), est polonais et… convaincant.

Lidewij Edelkoort ouvre la School of Form à Poznan (Pologne) en 2011, avec 125 étudiants. La saison 2013-2014 qui va débuter verra sortir, à son issue, ses premiers diplômés (niveau licence).

Quoique privée, cette nouvelle école renforce le tissu polonais déjà solide de l’enseignement en design dispensé dans les neuf Académies des beaux-arts, sises à Varsovie, Cracovie, Szczecin, Wroclaw, Lodz, Poznan, Gdansk, Katowice et Torun ; la vingtaine d’universités technologiques, et enfin, à la Higher School of Art and Design de Lodz. Soit, au total, quelque 4 000 étudiants. Confortée par cette nouvelle école et surtout par sa prestigieuse recrue – Li Edelkoort a hissé la Design Academy d’Eindhoven au meilleur niveau mondial, à l’égal d’un Royal College of Art, à Londres, ou d’une École cantonale d’art de Lausanne –, la Pologne du design se sent pousser des ailes.

Depuis quatre ou cinq ans, elle se fait d’ailleurs plus visible sur la scène internationale. Plusieurs expositions organisées, notamment, sous la houlette de l’Institut Adam-Mickiewicz, émanation à la fois du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Culture et du Patrimoine national, font la part belle aux jeunes designers et circulent à l’étranger, comme « UnPolished » (Bruxelles, Berlin, Neumünster [Allemagne], Copenhague, Paris, Toulouse, Helsinki…) ou « Polish Design Focus » qui, en juin, s’est installée à Berlin. En avril, au dernier Salon du meuble de Milan, une vaste présentation intitulée « Designlink.pl » a été déployée dans la salle de La Pelota, au cœur de la ville, et même la juvénile School of Form a exhibé, au Musée national de la science et de la technologie, des projets des premiers étudiants de 2e année de son histoire. Enfin, ce mois-ci, plusieurs designers polonais ont exposé à la Paris Design Week (9-15 sept.) et, depuis le 16 septembre, l’exposition « Young Creative Poland » s’inscrit pour la 4e année consécutive au London Design Festival. Le design polonais sortirait-il enfin des limbes ?

Production de masse
À Varsovie où les églises sont légion, le son de cloche est un peu différent. La Pologne est l’un des grands fabricants de meubles européens – pour la firme Ikea notamment. Or les fabricants semblent, pour l’heure, préférer produire en masse plutôt que de développer des projets à moindre échelle, avec la nouvelle génération de designers locaux. « Il est toujours difficile aujourd’hui en Pologne d’expliquer aux entreprises quelle est la valeur ajoutée du design, déplore Zofia Strumillo-Sukiennik, du tandem Beza Projekt. La seule fois où nous avons pu éditer un projet en grand nombre, en l’occurrence 700 pièces, ce fut grâce à un contrat du… ministère des Affaires étrangères. » Ce dernier a en effet passé commande, en 2011, au moment où la Pologne a pris la présidence de l’Union européenne, à une douzaine de créateurs parmi lesquels Beza Projekt, pour imaginer une collection d’objets représentatifs du pays. Au quotidien, le contact avec les entreprises polonaises paraît plus laborieux. Même une distinction planétaire ne conduit pas automatiquement à une production. Ainsi Kasia Gwiazdowska et sa sœur jumelle Monika, qui animent le studio Monomoka, ont-elles décroché, en mars, au Salon international du meuble de Singapour, le Furniture Design Award 2013 dans la catégorie Designer, avec une assise réalisée au crochet et baptisée The Hive : « Nous sommes actuellement à la recherche d’un éditeur, raconte Kasia. Nous allons faire quelques salons professionnels à l’étranger, mais surtout regarder du côté des galeries d’art, voire carrément des foires, comme Design Miami ».

Quoi qu’il en soit, une évolution se fait sentir. « En Pologne, le coût de la production est en train d’augmenter, donc les entreprises qui, jusqu’alors, se contentaient de fabriquer pour les autres, songent désormais, en parallèle, à lancer leur propre production », explique Tomek Rygalik (Studio Rygalik). Ce dernier travaille pour la fameuse société italienne Moroso, mais également pour des fabricants polonais comme Comforty, Profim ou Noti. « Évidemment, il faudra du temps pour convaincre, car cela nécessite, de la part de nombre d’entreprises polonaises, un réel changement de culture, estime-t-il. Mais de ce fait, le designer pourra aussi avoir un rôle plus large : dessiner un projet certes, mais être, en outre, directeur artistique, voire conseiller stratégique. »

Un musée du design ?
De nouvelles sociétés également voient le jour, comme la firme Vzor qui s’est lancée dans l’édition de pièces d’un maître du design polonais, Roman Modzelewski (1912-1997), dont les créations n’avaient jamais été produites en série. Bref, en Pologne intra-muros, l’espoir est vif. Une question néanmoins demeure : comment faire entrer la notion de design dans la vie quotidienne ?

En province, le Lodz Design Festival par exemple, dont la 7e édition aura lieu du 17 au 27 octobre sur un thème on ne peut plus fédérateur : « It’s All About Humanity » (« Tout cela concerne l’humanité »), a de plus en plus la cote. Mais dans la capitale, il est un projet qui pourrait faire avancer les choses, bien que, pour l’heure, encore dans les cartons : l’ouverture d’un musée du design. À Otwock Wielki, dans les environs de Varsovie, les anciennes écuries du palais Bielinski hébergent plus de 23 000 objets et meubles datant du début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, dont quantité de chefs-d’œuvre des années 1950 et 1960. Il s’agit de la collection du Musée national de Varsovie, qui a débuté en 1978 et n’est toujours pas ouverte au public. Ne manque que l’édifice pour l’exposer et de l’argent.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : À l’Est, du nouveau… dans le design

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