TOURCOING
TOURCOING - La reconnaissance dont jouit l’œuvre du Torontois Michael Snow, acquise au gré d’une longue carrière (il a aujourd’hui 82 ans et travaille depuis le début des années 1960) tant européenne qu’américaine, a parfois du mal à rendre compte de la diversité de celle-ci.
Michael Snow commence en effet comme peintre, est un musicien professionnel (musique improvisée, jazz), et se voit surtout exposé comme créateur de dispositifs situés à mi-chemin entre le cinéma expérimental et l’installation vidéo, avec des films (en 16 mm) de référence, tels La Région centrale (1971) ou Wavelenth (1966-1967). Et, comme il n’a remis aucune de ses directions de travail en cause depuis, exposer Snow relève de la gageure. Car du tableau à la projection en salle, du dispositif interactif aux pièces sonores en passant par le concert et le travail dans l’espace public, sans oublier la photographie, c’est d’un même pas que Snow a conduit ses travaux. Ce que réussit l’exposition du Fresnoy-Studio national des arts contemporains, à Tourcoing (Nord), en une vingtaine de pièces majeures, c’est, sans souci rétrospectif pour autant, à donner accès à la complémentarité des voies de travail de l’artiste. Il fallait pour cela la familiarité qu’entretient avec l’œuvre Louise Déry, directrice de la galerie de l’UQAM (Université du Québec à Montréal), conservatrice, auteure et commissaire, et très bonne connaisseuse, en particulier, de l’art au Canada. Mais il fallait aussi l’attention à la fois légère et rigoureuse de l’artiste, soucieux d’une grande exigence conceptuelle et expérimentale comme d’une accessibilité sensible très directe, spéculaire mais pas spectaculaire, pour tout type de public. Si les enjeux formels, par exemple sur la nature de l’image, des principes de captation comme de restitution, existent toujours au plus vif de la réflexion et au plus proche des nouveaux outils techniques, ce n’est jamais au détriment de l’expérience que l’artiste entend faire partager. Ses notes sur les œuvres telles que le catalogue de l’exposition les reproduit révèlent tant ses préoccupations spéculatives qu’une clarté dans leur formulation, clarté que le parcours confirme. Au risque qu’une visite un peu désinvolte s’arrête à cette apparente facilité au point de négliger la densité des œuvres, plus joueuses que démonstratives.
Rapport à la peinture
Les pièces du parcours, de 1970 (Sink, projection de diapositives en carrousel) à 2009 [dont The Corner of Braque and Picasso (1)], maintiennent le spectateur dans un rapport actif à ce qu’il voit. Rien n’est caché pourtant, mais l’image toujours en dit plus que ce qu’elle dit : elle est à la fois évidente et non explicite. Les dispositifs photographiques tels Line Drawing with Synapse (2003) ou Powers of Two (2003) incitent le spectateur à chercher sa place, tout comme, très factuellement, l’installation vidéo Observer (1974-2001). Cette dernière renvoie au sol en temps réel l’image du spectateur lui-même vu selon une verticale troublante, qui l’aplatit dans le plan de l’image. Renversements temporels ou spatiaux, compressions ou suspensions, les pièces jouent de vitesses variables et de chevauchements entre récit et image arrêtée : Sshoorrty (2005) superpose des images pour donner une perception troublante à une scène digne d’un feuilleton télé. Objets d’une mise en scène attentive aussi, mais qui procède de la composition picturale à la manière de la nature morte classique, les 36 Polaroids réunis en planches du portfolio de 1982, Still Living (9x4 Acts, Scene 1) forment autant d’allégories énigmatiques et délicieuses, en même temps qu’elles nouent un rapport à la peinture. Celui-ci devient explicite jusqu’à une ironie presque potache avec Paris de jugement Le and/or State of the Arts (2003), qui, avec ses trois nus féminins contemplant des Baigneuses de Cézanne, boucle le parcours.
Le texte écrit et dit, le son, la voix et la langue, la musique constituent autant éléments majeurs du travail au côté de l’image. Les pièces enregistrées sont toujours un peu ingrates à écouter au casque, mais Diagonale (1982) propose une expérience physique au visiteur, qui traverse une salle noire en suivant la pente régulière et douce d’une tonalité continue d’un accord qui, du plus aigu au plus grave, se transforme selon sa position. Mais c’est la capacité à réunir de manière aussi efficace que peu démonstrative les langages et les régimes symboliques qui fait décidément de Snow un pionnier du multimédia, entendu comme relevant non de la cuisine technologique mais de la liberté d’écriture contemporaine.
(1) Cette projection en temps réel de l’extérieur du lieu d’exposition à la manière d’une caméra de surveillance est transformée par une accumulation de volumes simples empilés qui en déforment l’image, clin d’œil ou pied de nez tant au cubisme qu’à la 3D.
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Les voix croisées de Michael Snow
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Abonnez-vous dès 1 €SOLO SNOW
Commissaire : Louise Déry
20 œuvres (installations vidéo, photo, dispositifs sonores)
Solo Snow
Jusqu’au 24 avril, Le Fresnoy-Studio national des arts contemporains, 22, rue du Fresnoy, 59200 Tourcoing, mercredi-jeudi-dimanche 14h-19h, vendredi-samedi 14h- 21h, tél. 03 20 28 38 00, www.lefresnoy.net
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Les voix croisées de Michael Snow