L’exposition de la Fondation Beyeler questionne les rapports entre sculpture et architecture, dans une confrontation uniquement formelle.
Bâle - Avec cette vaste exposition baptisée « ArchiSculpture », la Fondation Beyeler n’inaugure ni une présentation d’architecture, ni une installation de sculptures, mais un peu des deux. « À l’image du Guggenheim Museum de Bilbao, explique Markus Brüderlin, commissaire de l’exposition, l’“architecture-sculpture” est aujourd’hui fortement d’actualité. Nous avons donc voulu montrer les précédents de cette interaction entre ces deux disciplines. Notre seul problème était de trouver une manière de présenter ces deux échelles que sont la “grande” architecture et la “petite” sculpture. Nous avons, je pense, choisi la bonne méthode : la maquette d’architecture. » Le parcours, chronologique, réunit quelque 180 pièces – 60 artistes, 50 architectes –, du XVIIIe siècle à nos jours, évoquant « une quarantaine de dialogues entre l’architecture et la sculpture moderne ».
Il y a deux façons de voir cette exposition. La première consiste en une déambulation au cœur d’un univers de formes, dont certaines remarquables, qu’il s’agisse de sculptures (le Relief d’angle de Vladimir Tatline, une installation de Gerhard Merz…) ou de maquettes d’architecture (la tour de la radio de Moscou de Vladimir G. Shukhov, le monument commémoratif à une Topographie de la terreur de Peter Zumthor…). Le visiteur pourra effectivement relever, de-ci de-là, quelques similitudes entre les premières et les secondes. Ainsi la tour Einstein d’Erich Mendelsohn arbore-t-elle des traits communs avec une Figure abstraite d’Oskar Schlemmer. Tout comme le Guggenheim Museum de New York (Frank Lloyd Wright) avec les Coupes superposées de Hans Arp, le Cube d’Alberto Giacometti avec un poste d’aiguillage de Herzog & de Meuron ou la maison Möbius de UN Studio avec un... anneau de Möbius chromé signé Max Bill. Mais il ne s’agit là que de coïncidences plastiques, car ce qui paraît possible entre une sculpture grandeur nature et le modèle réduit d’un édifice n’est, en réalité, que pure vue de l’esprit. Ce jeu des correspondances plaira néanmoins, à coup sûr, au public.
La seconde lecture est en revanche plus critique. Les « dialogues » incongrus, sinon illusoires, sont légion. Un thème de travail proche peut ainsi fournir un alibi pour réunir deux pièces. C’est le cas pour la maison Stonborough de Ludwig Wittgenstein, à l’esprit très « carré », mis en regard avec le Cube Structure Based on Five Modules de Sol LeWitt. Idem, mais à l’inverse, avec l’Embryological House de Greg Lynn et le Pod de Tony Cragg, liés, cette fois, par leur côté organique. À ce petit jeu des ressemblances, le sculpteur Constantin Brancusi est assurément un bon client. Son admirable Oiseau est ainsi supposé deviser avec la tour Swiss Re de Norman Foster, alias « le cornichon suisse » (pour les Londoniens), une Danaïde avec le théâtre universel de Friedrich Kiesler ou La Colonne sans fin avec feues les tours jumelles du World Trade Center, de Minoru Yamasaki.
De temps à autre, le « dialogue » se satisfait d’une simple convergence de dates. Ou résulte de rapprochements osés, comme cette sculpture d’Henry Moore, Reclining Figure : Holes, avec la chapelle de Ronchamp de Le Corbusier, ou, pis, la Muse endormie (Brancusi, à nouveau) avec... une habitation-cellule de Pascal Haüsermann (sic). Si Herzog & de Meuron n’ont jamais caché leur inclination pour les minimalistes américains – d’où ce voisinage évident entre la galerie d’art Goetz et une pièce de Donald Judd –, Frank Gehry, en revanche, dont le Guggenheim Museum de Bilbao trône dans une salle dédiée au « Gothique », n’a en aucun cas revendiqué ce style, préférant invoquer, notamment, l’œuvre de l’artiste Gordon Matta-Clark.
Parfois enfin, l’énigme reste entière : hormis leur proximité historique, quel est le rapport entre la villa Müller d’Adolf Loos et la Femme accroupie d’Aristide Maillol ? Aucun.
Par nature, les arts se nourrissent les uns les autres. Nonobstant deux questions essentielles pour l’architecture – l’usage et le site –, peut-on sérieusement faire une relecture de l’histoire de l’architecture à travers le prisme de la sculpture et l’artifice de la maquette ? Le risque est que le visiteur quitte l’exposition avec, en tête, l’idée qu’« une véritable architecture, c’est de la sculpture ! », comme le pensait Brancusi. Ce serait là le plus grand mal à faire à l’architecture.
Jusqu’au 30 janvier 2005, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Riehen/Bâle, Suisse, tél. 41 61 645 97 00, www.beyeler.com
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Les liaisons dangereuses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°202 du 5 novembre 2004, avec le titre suivant : Les liaisons dangereuses