En consacrant l’intégralité de ses espaces aux travaux d’Orlan, le Centre national
de la photographie revient sur un œuvre entamé au début des années 1960.
PARIS - En 1964, Orlan accouche d’elle-m’aime. Le titre désigne une des images exposées à Paris dans la première salle du Centre national de la photographie. Nue sur un drap blanc – motif et matrice de nombreuses œuvres à venir, des drapés baroques au bloc chirurgical –, l’artiste se dédouble d’un mannequin androgyne. Cet autoportrait s’inscrit dans la série qui ouvre l’importante rétrospective de l’artiste : une suite de petits formats noir et blanc dont la préciosité est accentuée par leur marie-louise à larges bords. Pourtant, les photographies sont des saisies froides d’objets, des « Corps-sculptures » qui, dans leurs mouvements, témoignent d’une œuvre précoce (l’artiste est alors âgée de 17 ans) et en accord avec les préoccupations de son époque. La monographie récente dans les mêmes lieux de VALIE EXPORT, tout comme celles de Gina Pane à Nancy et aux Sables d’Olonne – concomitantes à la publication de ses écrits aux éditions de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris – ou l’exposition actuelle de Michel Journiac au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (lire le JdA n° 188, 5 mars 2004) redonnent d’ailleurs au corps et au corpus des années 1960 et 1970 une actualité bienvenue. Au milieu des années 1960, Orlan sort le corps de l’espace du tableau (Tentative pour sortir du cadre avec masque n° 1, 1965) et en fait un objet de débat. Dans Action Or-lent : les marches au ralenti, dite au sens interdit, elle le porte dans l’espace public, arpentant à l’envers un sens interdit ; dans les « Actions Orlan-corps » effectuées dans les années 1970-1980, elle l’utilise comme étalon pour mesurer différentes institutions culturelles. En 1977, avec le baiser de l’artiste, elle se vend dans l’espace de la FIAC. En témoigne son costume-outil, distributeur muni d’une fente pour pièces qui terminent leur parcours dans un pubis de plastique. Dans la bande-son accompagnant l’œuvre, Orlan interpelle les visiteurs et vend à qui mieux mieux ses services. Prônant selon ses propres termes une position entre la « cathédrale et le bordel », l’artiste entretient une tension entre le sacré et le profane au centre de laquelle on trouve un corps, spirituel, aliéné ou charnel.
L’« art charnel » dont Orlan a signé le manifeste, est un « travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des moyens technologiques qui sont ceux de son temps », qui culmine dans les opérations de chirurgie esthétique effectuées au début des années 1990. En détournant l’usage des implants, Orlan invente de nouveaux canons et reconfigure son corps sans douleurs (« Ceci est mon corps, ceci est mon logiciel » pour citer l’un de ses slogans), à rebours des commandements de la religion et de la psychanalyse. De larges Cibachromes montrent le renversement carnavalesque orchestré par l’artiste : les praticiens sont déguisés, et une chorégraphie accompagne ses lectures.
Si elles sont finalement peu présentes dans l’exposition du CNP, au profit du CCC (lire l’encadré), les opérations-performances ont placé Orlan au centre de l’attention du grand public, la poussant encore davantage à la redéfinition d’un personnage inédit, à la fois médiatique et glacé, futuriste et décalé, sophistiqué et populaire. « Mon espace mental et ma vie privée reprennent leurs places lorsque je ne suis plus en représentation, donc lorsque les visiteurs et les assistants sont partis. Je dois dire aussi que, malgré les apparences, mon œuvre est beaucoup plus autonome de ma vie qu’il n’y paraît au premier abord », explique-t-elle dans l’ouvrage paru à cette occasion aux éditions Flammarion. Plus que les problématiques habituellement associées au body art, la rétrospective parisienne pointe ses débordements fictionnels. Apparaissant dans les « Self-hybridations », série récente dans laquelle l’artiste mêle virtuellement son image à celle de sculptures extra-européennes, la figure de Janus – comme celle, initiale, de l’accouchement – opère la synthèse entre l’art et la vie, l’artiste et le personnage. En 1988, les « Affiches peintes » résument des films inexistants sur les vies d’Orlan. « Le plan du film » (2001), série exposée ici, se construit sur un principe comparable : tourner un film par la fin en commençant par sa promotion (affiches, bandes-annonces), sa bande-son assurée par le groupe Tanger et les témoignages des acteurs. Dernier épisode, la mise en chantier par David Cronenberg d’un film axé autour de l’œuvre d’Orlan. Un hors-champ de plus pour Orlan.
Jusqu’au 28 juin, Centre national de la photographie, hôtel Salomon de Rothschild, 11, rue Berryer, 75008 Paris, tlj sauf mardi, 12h-19h, lundi 12h-21h, tél. 01 53 76 12 31, www.cnp-photographie.com. À lire, Orlan, éditions Flammarion, 264 p., 49 euros, ISBN 20801112910.
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Les incarnations d’Orlan
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Abonnez-vous dès 1 €Parallèlement à sa rétrospective au CNP, Orlan propose de revenir au Centre de création contemporaine (CCC) à Tours sur ses opérations à travers un ensemble d’œuvres anciennes ou spécialement produite pour l’occasion. Ainsi le polyptyque Omniprésence (1994), une pièce maîtresse, dévoile-t-il l’évolution du visage d’Orlan durant les quarante jours succédant à une intervention chirurgicale. À côté, l’artiste présente une grande installation réalisée avec l’architecte Philippe Chiambaretta, Orlan/04-04-04/pièce lumineuse. À la manière des stands de foires, l’artiste propose ici de pénétrer dans l’univers de ses opérations, mais dans une approche tout en esthétisme et arrondis. - CCC, jusqu’au 6 juin, 53, rue Marcel-Tribut, Tours, tél. 02 47 66 50 00
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Les incarnations d’Orlan