Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... Les bottines de Philippe Ramette.
Fétiche. « Il me vient immédiatement à l’esprit une paire de bottines achetées au Japon, à Kyoto, où j’ai fait plusieurs séjours, notamment lorsque mon frère y travaillait. J’ai eu un coup de foudre en les voyant dans la vitrine du magasin. J’ai eu l’impression qu’elles m’attendaient : ces bottines noires, à lacets et en cuir souple, semblaient avoir traversé toutes les époques. Or l’intemporalité compte beaucoup dans ma pratique artistique », déclare Philippe Ramette. En effet, le personnage (son double), qu’il met en scène dans ses œuvres photographiques ou dans ses sculptures, est toujours tiré à quatre épingles : il porte un costume strict et des chaussures bien cirées. Ce dernier élément constitue le point fort de ses dispositifs le présentant, sans trucage numérique, dans des postures défiant les lois de la gravité. Ainsi peut-il marcher à la perpendiculaire sur un tronc d’arbre, admirer le paysage du haut d’un promontoire mais à l’envers, la tête dans le vide, ou réfléchir, allongé à l’horizontale, légèrement au-dessus du sol, comme un fakir ! C’est ce qu’il appelle ses « Promenades irrationnelles ». Tel un culbuto, la plupart du temps ses chaussures semblent bien servir d’ancrage à ce décentrage quasi philosophique.
Cet été, petite variante : pour « Le voyage à Nantes », Ramette a réalisé un Éloge du pas de côté. À l’image d’une sculpture classique en bronze, son effigie se dresse fière, les deux jambes écartées. Surprise : l’une d’elles sort du socle et reste dans le vide. D’où l’importance de la chaussure fixée dans la pierre : « L’idée est d’inviter chacun à ne pas subir le monde tel qu’il le perçoit d’abord mais à se positionner différemment. Là encore, les chaussures sont importantes. Et, pour tout dire, j’en possède plein : aussi bien des Church chics que des solides Ammo Boots ou des élégantes Weston. » Une passion qui s’enracine dans l’amour inconditionnel que l’artiste porte au septième art, notamment aux films en noir et blanc des années 1920-1930, et qu’il regarde à travers son tropisme favori : « J’ai toujours été fasciné par les bruitages accompagnant la marche des acteurs. Vers l’âge de dix ans, innocent, j’ai demandé à mes parents de m’acheter des chaussures créant les mêmes effets sonores. Chaque fois j’étais déçu ! Je peux vous raconter une scène du Troisième homme de Carol Reed et Orson Welles, dans laquelle un homme se cache sous un porche : le gros plan sur ses chaussures, passant de la lumière à l’ombre, agit comme symbole de sa destinée. Et, dans To be or not to be, je connais par cœur la scène où le héros, résistant, s’apprête à sauter en parachute en territoire hostile, et où il enfile puis lace ses chaussures ! Vous comprenez pourquoi les bottines japonaises me semblaient prédestinées », dit-il avec malice. Et d’ajouter : « Lorsque j’ai acheté ces bottines, j’ai eu toutes les difficultés à me faire comprendre. La barrière de la langue, les différences d’attitude et de gestualité, tout ça m’a mis face à un mur d’incompréhension réciproque. J’ai dû rapporter les chaussures le lendemain car elles étaient trop grandes : difficile de l’expliquer au vendeur. Pour le coup j’étais réellement décalé ! J’avais l’impression d’être projeté dans le film de Sofia Coppola Lost in Translation ». Ramette n’a-t-il jamais eu envie de devenir lui-même réalisateur ? « En fait, non, je suis infiniment plus maître du jeu en tant qu’artiste. Étant concepteur et acteur des images, je me sens plus libre : je n’ai de comptes à rendre qu’à moi-même. Pour en revenir aux bottines, ce fut une de mes plus belles acquisitions. Avec, j’ai l’impression d’être sur un nuage. » On croit volontiers ce doux rêveur qui, en marchant toujours un peu à côté de ses pompes, est devenu héros de sa propre vie !
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Les bottines de... Philippe Ramette
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Les bottines de... Philippe Ramette