Bruxelles montre toute la richesse et la subtilité de l’œuvre de cette figure de l’Art nouveau puis de l’Art déco, mais la place qu’il ménage à l’architecture est trop réduite.
BRUXELLES - L’occasion fait souvent le larron. Cette année, c’est le 150e anniversaire de la naissance d’Henry Van de Velde (1863-1957) qui a fourni l’argument au Neues Museum de Weimar (Allemagne) et au Musée du Cinquantenaire, à Bruxelles, pour élaborer de concert une vaste et ambitieuse rétrospective sur cet architecte et designer belge, figure emblématique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Intitulée « Henry Van de Velde : Passion, Fonction, Beauté » et montrée de mars à juin en Allemagne, cette exposition se déploie aujourd’hui en Belgique dans une version « retravaillée », afin de « mettre l’accent sur quelques points typiquement belges ».
Découpé en dix-neuf sections, le parcours bruxellois expose ainsi, de manière chronologique, près de 500 pièces : œuvres d’art, meubles, objets utilitaires, photographies, dessins et maquettes. Un panorama quasi complet de l’œuvre de ce créateur polyvalent et engagé, qui combina à l’envi fonctionnalité et élégance.
Le début de l’exposition apparaît un brin pesant. À trop vouloir le remettre dans le contexte de l’époque en présentant en regard du travail de Van de Velde des créations de ses contemporains, on aboutit au phénomène inverse : noyer le propos, sinon le poisson. D’autant que certaines pièces semblent plutôt curieuses, comme cet étrange ensemble bureau et fauteuils en sycomore signé Victor Horta et montré à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Turin, en 1902, dont la garniture toute neuve en cuir blanc se révèle du plus mauvais effet. En outre, la production du prolixe Van de Velde se suffit amplement à elle-même.
Raffinement dépouillé
Peintre de formation – né à Anvers, il y étudia la peinture à l’Académie des beaux-arts –, Henry Van de Velde abandonnera peu à peu ce médium pour se concentrer sur l’architecture et les arts décoratifs, séduit dans un premier temps par le mouvement Arts & Crafts, alors en vigueur en Angleterre sous la houlette de John Ruskin et William Morris, et par ses nouvelles théories en faveur de la fusion des arts et de l’artisanat.
Tournant de siècle oblige, Van de Velde embrasse l’Art nouveau, dont il deviendra l’une des trois figures phares en Belgique, avec Paul Hankar et Victor Horta. Plus tard, en précurseur habile, il négociera néanmoins avec subtilité un autre « tournant » : celui de l’Art déco.
Ce que montre en tout cas l’exposition, c’est un homme doué d’une extraordinaire polyvalence. En 1895, en autodidacte, il édifie à Uccle, au sud de Bruxelles, sa propre et première maison, la villa Bloemenwerf, dont il exécute les plans jusque dans les moindres détails. Résultat : une élégance dépouillée et influencée par l’architecture anglaise de cottage, une sorte d’œuvre d’art totale qui sera sa carte de visite. Le visiteur pourra d’ailleurs admirer dans l’exposition deux meubles issus de cette maison : une délicate vitrine et une table de salle à manger, toutes deux en orme vernis et en laiton. Retenons également cet étonnant salon Hommes en acajou et en laiton conçu pour le coiffeur de la cour François Haby, à Berlin, pièce dans laquelle les conduites d’eau, de gaz et d’électricité deviennent des éléments décoratifs. Van de Velde dessine tout : des bijoux aux arts de la table, de la céramique à la verrerie, de l’argenterie à l’orfèvrerie, du mobilier aux luminaires, des textiles aux vêtements… Il s’ouvre au design industriel, se fait graphiste aussi lorsqu’il conçoit l’identité visuelle du fabricant de suppléments alimentaires Tropon, voire éditeur quand il réalise de splendides ouvrages. Ainsi ce livre au titre merveilleux, Déblaiement d’art, pour lequel il grave lui-même les lettrines et autres culs-de-lampe.
Un grand regret pourtant : on reste indubitablement sur sa faim quant au traitement du « Van de Velde architecte ». Dans la section dédiée audit registre, quatre malheureuses maquettes, celles de ses quatre maisons de famille successives, se retrouvent bien seules pour évoquer toute la richesse de sa philosophie du bâtiment, à l’instar du subtil réaménagement du bâtiment des Archives de Nietzsche, à Weimar, ou du Musée Kröller-Müller, à Otterlo (Pays-Bas). Heureusement, en fin de parcours, un coup de projecteur est mis sur la bibliothèque de l’université de Gand, la célèbre Boekentoren, édifiée entre 1933 et 1936. L’honneur est (presque) sauf !
Commissaire de l’exposition : Werner Adriaenssens, conservateur au Musée du Cinquantenaire
Nombre de pièces : 463
jusqu’au 12 janvier 2014, Musée du Cinquantenaire, 10, parc du Cinquantenaire, Bruxelles, tél. 32 2 741 72 11, www.mrah.be, tlj sauf lundi, mardi-vendredi 9h30-17h, samedi-dimanche 10h-17h.
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L’élégance fonctionnelle selon Van de Velde
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Abonnez-vous dès 1 €Henry Van de Velde, Bureau, vers 1903, bois de hêtre, laiton, 73 x 191 x 82 cm, Landesmuseum Württemberg, Stuttgart.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : L’élégance fonctionnelle selon Van de Velde