REIMS - « Je proteste contre moi parce que je n’ai pas protesté quand ils ont fermé les écoles/ […] Je proteste contre moi parce que je suis roumain… »
Ainsi témoigne sur le ton de la litanie Ciprian Muresan, par la voix d’une marionnette surgie d’un conteneur à déchets transformé pour Recycled Playground (vidéo, 2011) en petit théâtre. Formé de cinq autres conteneurs en guise de wagonnets, un petit train circule en une boucle sans fin autour de la salle du rez-de-chaussée du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Champagne-Ardenne, à Reims, renforçant l’aspect à la fois ludique et désenchanté de la projection.
Né en 1977 à Dej, en Roumanie, Muresan appartient à cette génération d’artistes trentenaires identifiés sous le vocable « école de Cluj ». Ceux-ci ont bénéficié très tôt d’une reconnaissance internationale grâce en particulier à l’activisme de la galerie Plan B, qui s’implanta dans la ville en 2005. Mais s’il ne fait aucun doute que cette scène a assimilé les « codes » de l’art occidental,– notamment des années 1990, vidéographiques ou collaboratifs –, c’est pour leur insuffler l’histoire récente de son pays, considérée ici du point de vue de l’individu. Leap into the Void rejoue certes le Saut dans le vide (1960) d’Yves Klein, mais la photographie représente l’artiste écrasé au sol, face contre terre.
Élevés à l’époque du communisme et témoins à leur adolescence de sa désintégration, Muresan et ses contemporains ont assisté à la charge des grandes firmes pour l’avènement d’une culture de consommation. L’artiste met en scène dans une courte vidéo (Choose, 2005) un garçonnet incapable de choisir entre Pepsi et Coca-Cola. Ailleurs, des enfants lisent des extraits de la pièce Rhinocéros (E. Ionesco, 1957), un texte emblématique du théâtre de l’absurde. Plus impressionnante, une meute de chiens disserte, sous la forme d’un spectacle de marionnettes au décor aussi sombre que ses protagonistes, des différents modes de torture et d’exécution à travers l’histoire (Dog Luv, 2009, vidéo).
Mais Muresan pratique aussi le dessin, avec sensibilité dans ses petits films d’animation caractérisant la religion, le communisme et le capitalisme ; de façon programmatique dans deux projets récents. La série Untitled (Kippenberger) décompose en 120 dessins cinq secondes d’un film qui documente l’installation de Martin Kippenberger The Happy End of Franz Kafka’s « Amerika », elle-même transcription plastique de l’univers bureaucratique de l’Amerika de Kafka. En regard, The Second Invasion of Mars est une table couverte d’ouvrages de littérature à l’intérieur desquels sont insérés – chaque livre ayant été désossé et remonté – des dessins réalisés d’après un roman de science-fiction soviétique. Les livres se retrouvent ainsi parasités par des « official persons » effectuant des actes dont la raison échappe au sens commun… Ou la culture comme refuge quand les figures du totalitarisme continuent de hanter les esprits, longtemps après qu’elles en ont été chassées.
Nombre d’œuvres : 18
En collaboration avec le Centre d’art contemporain de Genève et la Contemporary Art Gallery de Vancouver, où l’exposition ira en 2012.
Jusqu’au 31 décembre, Frac Champagne-Ardenne, 1, place Museux, 51100 Reims, tél. 03 26 05 78 32, du mardi au dimanche 14h-18h, www.frac-champagneardenne.org
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Le retour des Martiens
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : Le retour des Martiens