Mué en manifestation biennale – une façon de s’inscrire dans un temps plus long (quatre mois) et de mieux fondre la création numérique dans le modèle de l’art contemporain, – l’ex – festival Némo adopte pour la première fois, cette année, une thématique transversale : la prosopopée.
Ce nom d’usage peu courant désigne, comme le rappellent le programme de l’événement francilien et son sous-titre (« quand les objets prennent vie »), une figure de style consistant à faire parler un animal, un mort, une chose, une abstraction ou, dans le cas qui nous occupe, un objet inanimé. De prime abord, parler des « objets qui prennent vie » semble de nature à convoquer l’inquiétante pénétration des machines au cœur de la vie quotidienne et la porosité croissante du mécanique et du vivant. Ce sont les drones dont l’industrie du spectacle et du divertissement banalise l’usage, et que l’armée américaine envisage d’autonomiser davantage encore en les dotant de la faculté de décider ce qui constitue ou non une cible. Ce sont plus largement les derniers développements en matière d’intelligence artificielle ou les progrès de la robotique, si spectaculaires qu’on en vient à trouver plausible la fiction d’une société peuplée de « hubots » majordomes, serviteurs et même journalistes. C’est, enfin, cet Internet des objets connectant notre environnement matériel au réseau pour mieux mesurer, quantifier, et le cas échéant corriger chaque aspect de nos vies – qu’il s’agisse de consommation d’énergie ou de pression sanguine. Les objets qui prennent vie sont en somme l’un des champs les plus fertiles – les plus lourds d’inquiétudes aussi – de l’innovation.
D’innovation, il n’est pourtant pas vraiment question à la Biennale Némo. Si l’événement est bel et bien branché et connecté de toutes parts, il n’entend pas pour autant céder à la fascination (enthousiaste ou morbide) qui entoure les technologies dont il vient d’être question. Au cours des quatre mois de concerts, de performances et d’expositions (dont « Prosopopées » au Centquatre, à partir du 5 décembre) de la Biennale, on croisera certes des drones, des robots et même des objets a priori banals, tels que radiateurs et canapés, ici capables de s’animer et, pour certains, de s’humaniser. Mais, quand la « technologie des objets » s’emploie à ordonnancer le monde pour mieux le contrôler, les prosopopées de Némo divaguent et dressent au contraire l’image d’un univers machinique entièrement déréglé : « Les objets que nous présentons sont déconnectés, dysfonctionnels, résume Gilles Alvarez, président d’Arcadi et directeur artistique de l’événement. Ce ne sont pas nos amis ni nos assistants : ils nous sont étrangers. » Face aux « objets connectés omnipotents » et si dangereusement utiles que fomente le monde industriel et qu’Alvarez décrit comme « des fils à la patte cool d’un nouvel esclavagisme en marche », Némo rassemble ainsi les drones « hackés » et titubants de Nicolas Maigret, les robots hystériques de Bill Vorn ou le canapé équilibriste de Jacob Tonski. Bref, des objets en si parfait décalage avec leur fonction utilitaire qu’on ne peut les imaginer tenant un autre langage dans leur prosopopée que celui de la magie et de la poésie…
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Le monde déréglé de Némo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : Le monde déréglé de Némo