La Maison rouge accueille la collection vidéo d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, et propose un passionnant voyage dans la réalité sociopolitique du monde d’aujourd’hui.
PARIS - Si la forme revêtue par la collection privée peut parfois apparaître tel un drôle d’objet, celle d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, quasi exclusivement consacrée à l’art vidéo relativement récent, l’est assurément. Constituant un véritable défi par son déroulement, sa durée et les problèmes de contamination d’une œuvre à l’autre, la scénographie d’une exposition uniquement composée de sons et d’images en mouvement n’est pas un exercice aisé. Didier Faustino et le bureau des Mésarchitectures y sont parvenus haut la main. À la Maison rouge, à Paris, ils ont créé des cellules hexagonales, à l’intérieur ou à l’extérieur desquelles sont projetés des films qui conservent leur autonomie et conduisent le visiteur à un parcours labyrinthique piquant la curiosité et ajoutant à l’envie de la découverte.
Sur le fond, l’aventure est passionnante. Très justement titrée « Une vision du monde », la présentation, en vingt-cinq artistes et autant d’œuvres, conduit à croiser les regards de créateurs aux origines géographiques, aux histoires et aux vécus fort divers. Tous ont cependant en commun un attachement lucide au monde contemporain, sur lequel ils portent un regard aiguisé et précis. Des questionnements « sociogéopolitiques » auxquels les collectionneurs semblent fondamentalement attachés, lorsqu’ils déclarent dans le catalogue que « [les] intéressent particulièrement les œuvres qui interrogent la condition humaine et touchent, non pas à la politique, mais au politique ».
Prise directe
Beaucoup d’artistes abordent la vidéo sous un mode analogique au documentaire qui n’altère en rien la dimension narrative propre au médium. Ainsi Jeremy Deller, dans Memory Bucket (2003), nous convie-t-il dans le Texas profond afin d’en examiner l’histoire récente, tandis que Deimantas Narkevicius revient à travers les récits de deux personnages sur les spécificités de l’identité lituanienne (Kaimietis, 2005).
Les questions de frontières et de territoires sont également très présentes, avec des artistes tel Yael Bartana, qui filme, en Israël, les volontés de conquête de jeunes hommes escaladant des dunes au volant de puissants 4 x 4 (Kings of the Hill, 2004). Ou encore Emily Jacir, qui, pendant huit jours, enregistre à l’aide d’une caméra dissimulée ses trajets entre Ramallah et Birzeit (Crossing Surda (a Record of Going to and from Work), 2002). Plus décalé mais non moins pertinent, Mark Wallinger pose sa caméra dans le hall des arrivées internationales de l’aéroport de Londres (Treshold to the Kingdom, 2000).
La dimension du groupe et l’idée de communauté semblent en outre toucher les collectionneurs, avec le Casting (2000) de João Onofre ou le groupe d’adolescents filmé dans la même pose pendant près d’une heure par Gillian Wearing (Boytime, 1996). Dans son touchant Territories (1984), Isaac Julien mêle réel et fiction pour analyser les modes de représentation et la relation aux médias des communautés noires installées en Occident.
Ces œuvres, réunies de cette façon, achèvent de prouver que la vidéo est un outil qui offre aux artistes une prise directe, rapide et efficace sur le monde. Un monde sur lequel beaucoup portent, et le couple Lemaître avec eux, un regard généreux et sans complaisance.
- Commissaire de l’exposition : Christine Van Assche, conservatrice responsable des Nouveaux Médias au Centre Pompidou - Nombre d’artistes : 25 - Nombre d’œuvres présentées : 25, sur 50 dans la collection
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 14 mai, La Maison rouge, Fondation Antoine de Galbert, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, www.lamaisonrouge.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-19h, jeudi 11h-21h. Cat. Maison rouge/Fage éditions, 144 p., 25 euros, ISBN 2-84975-056-5.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Le monde comme il va