L’identité visuelle de la récente campagne présidentielle française, tous candidats confondus, n’a pas vraiment laissé de souvenir impérissable si ce n’est, peut-être, cet étrange portrait en noir et blanc de Ségolène Royal, aussitôt abandonné au soir du premier tour. On était loin certes de l’ironique et néanmoins fameux « Mangez des pommes ! », slogan qui a rythmé la campagne présidentielle de Jacques Chirac, en 1995. Imaginée alors par Les Guignols de l’info, cette devise était en fait un habile détournement de la couverture du livre La France pour tous du candidat Chirac, illustrée d’un… pommier. L’idée fut d’ailleurs non moins habilement reprise par le staff du RPR qui, à la sortie des meetings, distribuaient des pommes par cageots entiers.
Aux Pays-Bas, l’an passé, le Socialistische Partij (SP), parti socialiste néerlandais – gauche radicale –, a lui, choisi comme emblème la… tomate. La couleur rouge a évidemment été déterminante dans le choix de ce fruit mais pas seulement. Le SP s’est aussi adjoint les services de l’une des agences de création visuelle néerlandaises en vogue, Thonik (1), pour assurer tout le graphisme de sa campagne lors des élections législatives de novembre 2006. Outre une remarquable charte graphique conçue pour la municipalité d’Amsterdam, la firme fondée en 1999 par Thomas Widdershoven, 47 ans, et Nikki Gonnissen, 40 ans, est aussi une grande spécialiste de l’identité visuelle pour les musées. Elle est notamment l’auteur des logos du Centraal Museum d’Utrecht et du Boijmans Van Beuningen Museum de Rotterdam, ainsi que de moult identités visuelles pour le Van Gogh Museum et le Stedelijk Museum d’Amsterdam, le SMAK de Gand (Belgique), et, en Allemagne, pour la Documenta 11 à Cassel ou le Marta Museum à Herford. En France enfin, la firme a conçu, en 2004, le catalogue, l’affiche et la scénographie des 6e Rencontres internationales d’architecture d’Orléans, autrement dit « Archilab ».
Pour le SP, Thonik a non seulement réussi à transformer une simple tomate en un logo puissant, mais a également décliné un concept complet autour du précieux fruit, allant des affiches de campagne aux objets en trois dimensions, tels des bols à soupe en forme de... tomate. Mieux, l’artiste Joep Van Lieshout a même réalisé un véhicule, le « Soepexpres » [« L’Express de la soupe »], qui, pendant la campagne électorale, servit de point de diffusion des tracts, mais aussi de lieu de distribution de bols de soupe de tomate bio. Durant l’été et jusqu’au 19 août, les visiteurs du Boijmans Van Beuningen Museum, à Rotterdam, ont d’ailleurs pu contempler l’insolite engin en forme de tomate oblongue, garé dans la cour du musée.
Quel a été l’impact réel de cette tomate stylisée sur le résultat des élections législatives de 2006 ? On ne peut évidemment l’évaluer avec exactitude. Reste que le SP y a remporté un incroyable succès, triplant presque son nombre de sièges à la Deuxième Chambre et devenant, de fait, la troisième force politique du pays.
Aux Pays-Bas, ce travail de Thonik vient d’ailleurs d’être salué par les professionnels de la création. L’agence a, en effet, décroché le prestigieux « Rotterdam Design Prize 2007 », grand prix néerlandais annuel de design. Le jury a été « impressionné par la manière avec laquelle ce logo simple et clair a été métamorphosé en une marque simultanément efficace et ironique ». Il a, en outre, « apprécié la façon dont Thonik a su maintenir l’équilibre entre un design espiègle et un sérieux politique ».
Peut-être le Parti socialiste français, pour ses campagnes électorales à venir, pourrait-il s’inspirer de l’exemple de son homologue batave. Ne reste plus pour lui qu’à choisir rapidement un fruit ad hoc. Une fraise des bois ?
(1) Le site Internet de l’agence Thonik (www.thonik.nl) présente un portfolio rassemblant plusieurs de ses réalisations.
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Le fruit d’une politique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Le fruit d’une politique