Dans la maison du poète andalou, à Grenade, Hans Ulrich Obrist offre un hommage à l’intellectuel de gauche fusillé par les milices antirépublicaines en 1936.
GRENADE (Espagne) - De Paris à Moscou en passant par Londres, rares sont les destinations européennes où le plus prolifique des curateurs, le Suisse Hans Ulrich Obrist, n’a pas attiré l’attention du monde de l’art. Cette fois, c’est en Espagne, où il organise une exposition en forme d’hommage au poète et auteur de théâtre Federico García Lorca, dans sa maison familiale, la Huerta de San Vicente, à Grenade. Premier lieu dédié à la mémoire de l’intellectuel de gauche fusillé par les milices antirépublicaines en 1936 et condamné à l’oubli par le régime de Franco, la maison est ouverte au public depuis 1995 quand Laura García Lorca de Los Rios, la nièce du poète, en prend la direction. La fascination qu’exerce l’auteur radical du Romancero gitano ou de Bodas de sangre (Noces de sang) attire de nombreuses personnalités, de Bob Dylan, Lou Reed, Patti Smith à Compay Segundo qui y donnent des concerts, mais « Evertsill/Siempretodavía » est la première exposition d’art contemporain inaugurée dans la Huerta de San Vicente. Ainsi, Obrist tombe-t-il à pic en sortant de son carnet d’adresses en cinq tomes de grandes figures de l’art contemporains, de Cy Twombly à Philippe Parreno. L’invitation consiste à produire une œuvre en s’imprégnant de l’univers de Lorca, de ses écrits et de l’ambiance particulière de cette maison où il passait ses étés pour retrouver le goût de la campagne, source d’inspiration favorite, et où il consacra de longues nuits à écrire loin des tumultes de sa vie madrilène. Fidèle au concept qui voit dans le musée un lieu « relatif » et non « absolu » de l’art, « Evertsill » est pour son curateur tant une exposition que l’orchestration d’une rencontre. En convoquant des plasticiens, des écrivains (James Fenton et Frederic Tuten) ou des compositeurs (Enrique Morente), Hans Ulrich Obrist rend hommage aux talents multiples de Lorca. Mais, il fait aussi le pari de recomposer une communauté artistique à l’image des avant-gardes du XXe siècle, dont fait écho l’amitié partagée par Lorca avec Luis Buñel et Salvador Dalí.
Des airs de déjà-vu
Celui qui organisa sa première exposition dans sa cuisine puis dans une chambre d’hôtel au début des années 1990 n’offre pas ici la première expérience du type. Après la maison de Luis Barragán ou celle de Friedrich Nietzsche, cette dernière exposition signée Obrist a des airs de déjà-vu, avec son lot de formules éculées comme l’intervention sous le lit de la chambre à coucher. Le projet d’œuvre d’art total n’est pas non plus un succès : la présence des écrivains est imperceptible au sein de l’exposition et le flamenco de Morente diffusé dans la cuisine n’apporte qu’un peu d’exotisme. Quant au divorce des arts et des lettres que déplore Obrist dans le paysage contemporain, l’antidote que lui prescrit Dominique Gonzalez-Foerster avec son tapis de lecture est aussi peu convaincant qu’il est lui aussi réchauffé.Néanmoins le sujet choisi est favorable à l’exercice. La richesse de la personnalité de Lorca donne lieu à un hommage multiple. La présence du réalisateur catalan Pere Portabella ravive les engagements politiques de celui qui déclarait qu’« il n’y a pas de poète qui ne soit révolutionnaire ». La photographie poignante de Gilbert & George côte à côte dans le lit de Lorca assume l’homosexualité que le poète était contraint de dissimuler. Les poèmes disséminés dans les fontaines de la ville par John Giorno jurent fidélité aux partis pris démocratiques du chef de la troupe itinérante La Barraca. Le thème de la mémoire tisse un fil entre les œuvres, émouvantes quand elles évoquent une présence fantomatique, comme sur une vitre de l’escalier où Parreno a capturé un souffle dans une buée indélébile. Plus subtiles sont les œuvres qui questionnent la possibilité du souvenir à l’image de la vidéo de John Armleder qui est incapable de faire le point sur une lettre d’archive. Une métaphore critique de l’hommage, sa vanité, son impuissance à rattraper le temps perdu, à retrouver l’original se lit ente les lignes. Le journal périmé contenant la vérité refoulée sur la mort de Lorca que republie le groupe Democracia ne lui rendra jamais justice. La copie à l’identique par Roni Horn d’une céramique lui appartenant reste dramatiquement différente. La citation même est mise en doute quand, en lettres de feu dans la vidéo de Cerith Wyn Evans, elle ne laisse que des cendres de poèmes.
Jusqu’au 20 juillet, Parc municipal Huerta de San Vicente, Casa Museu Federico GarcÁa Lorca, calle Virgen Blanca, Grenade, Espagne, tél. 34 958 258 466, www.huertadesanvicente.com, du mardi au dimanche 10h-14h30 et 17h-19h30. En septembre 2008, 3e phase de l’exposition à la Résidencia de Estudiantes de Madrid. Catalogue à venir.
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Le fantôme de Lorca
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : Hans Ulrich Obrist - Nombre d’œuvres : 36
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Le fantôme de Lorca