Il est 21 heures en ce samedi 17 mars 2007. Le chanteur fait enfin son apparition au cœur de la scène. Les six mille spectateurs hurlent, sifflent, agitent leurs bras, en une foule déjà soumise, prête à toutes les injonctions, à tous les renoncements, dans la lueur des briquets et des téléphones portables rituellement allumés et brandis. Sur scène, aux premiers accords, la silhouette se précise, épaissie, plus massive qu’autrefois, mais bien plantée au centre de ce plateau de 80 m d’ouverture et 40 m de profondeur. Frisé, peroxydé comme autrefois, Michel Polnareff inaugure la vie du flambant neuf Zénith de Limoges édifié par Bernard Tschumi et Véronique Descharrières. La magie est immédiate : plus de quarante ans après, les chansons, musiques et paroles conjuguées n’ont pas pris une ride. Le retour en France du chanteur après trente ans d’exil en Californie est un triomphe inaltérable.
Double enveloppe
Avant le concert, dans la longue file d’attente, les spectateurs admiraient, au mitan de la clairière qui l’accueille, le gigantesque fanal lumineux surmonté de cinq ballons tout aussi lumineux que constitue le Zénith. L’enveloppe de polycarbonate tendue sur une armature de bois produit un effet saisissant. À l’intérieur, une seconde enveloppe où domine le béton. Entre les deux, les circulations, les rampes d’accès, les escaliers, les points de restauration. Puis c’est la salle, entièrement rythmée de bois, chaleur et acoustique mêlées. Un ensemble d’une grande simplicité et fluidité qui rappelle étrangement le Zénith de Rouen, édifié par les mêmes Tschumi et Descharrières six ans plus tôt, en 2001. Même stratégie de la double enveloppe, même impact visuel…, sauf qu’à Rouen, en lieu et place du polycarbonate, l’enveloppe extérieure est faite de métal. C’est que là-bas, aux portes de la vieille capitale normande, le Zénith est implanté sur un ancien aérodrome qui se transforme rapidement en zone d’activités. Face à cet environnement suburbain brutal, la violence massive du métal s’imposait. Alors qu’à Limoges, la forêt, la clairière appelaient un autre type d’écriture : d’où la légèreté du bois, le caractère impalpable du polycarbonate. Variations d’écriture donc, mais permanence du concept, tant il est vrai que le programme architectural des Zéniths reste identique.
Et puis, cette constante dans une grande partie de l’œuvre tuschmienne, celle de la double enveloppe. Double peau, dédoublement de la peau, qui se révèle un geste bien plus discursif, scriptural, dialectique, émotionnel, sensitif que physique ou mécanique. Ce qui d’ailleurs n’empêche en rien ce qu’on pourrait nommer un « travail de couture », voire d’horlogerie, tant la précision des mécanismes, des raccords, des enchaînements, des jointures y est maîtrisée à la perfection. Double enveloppe qui joue de la porosité entre intérieur et extérieur, et s’affranchit du façadisme héroïque auquel l’architecture des lieux de culture, de spectacle et de commerce nous contraint trop souvent : « J’ai toujours considéré les façades avec méfiance, car elles sont chargées de précédents historiques », confie Bernard Tschumi.
Légèrement plus modeste que celui de Rouen, le Zénith de Limoges représente néanmoins la bagatelle de 8 500 m2 construits sur un terrain de 6 hectares « paysagés » par Michel Desvigne. Un ensemble de 90 m de diamètre sous une hauteur de 22 m, qui peut accueillir jusqu’à 8 000 spectateurs (4 500 assis) et qui a coûté 27,5 millions d’euros, financés par Limoges Métropole avec l’aide de l’État, de la Région Limousin et du département de la Haute-Vienne.
À l’issue du spectacle, les visiteurs s’attardaient dans l’« entre-deux » et, moins pressés, admiraient la légèreté de la structure, la fluidité des circulations, la lisibilité évidente de l’ensemble. Et, levant les yeux, s’interrogeaient quant à la signification des traces sérigraphiques ponctuant le haut de l’enveloppe de polycarbonate. Avant de comprendre que le Zénith vit aussi le jour et que cette intervention sérigraphique sert alors de pare-soleil.
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Le crépuscule des vieux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Le crépuscule des vieux