À Bâle, le sculpteur américain revient en force avec ses sculptures produites depuis 1997, au réalisme incertain.
BÂLE (SUISSE) - Il produit peu et se montre moins encore. Considéré comme l’un des sculpteurs les plus importants de son temps, Charles Ray cultive une extrême discrétion, non seulement dans les apparitions de sa personne mais aussi dans celles de son œuvre. Les années écoulées ont vu se distiller quelques expositions chez son galeriste, Matthew Marks, au rythme d’environ une tous les deux ans, délivrant à chaque fois un nombre réduit de nouvelles œuvres. Quant aux présentations institutionnelles, il faut remonter loin, en 1998, avec un accrochage de milieu de carrière au Whitney Museum à New York.
C’est dire que la présentation proposée conjointement au Kunstmuseum et au Museum für Gegenwartskunst de Bâle, en collaboration avec l’Art Institute de Chicago, est un événement. Un événement à double titre, car l’artiste de Los Angeles n’a pas souhaité envisager le format rétrospectif mais a préféré se limiter à ses productions depuis 1997 – et sa dernière grande exposition donc –, tout en se montrant peu prolixe avec seulement quinze sculptures exposées entre les deux lieux.
Mais peu prolixe n’est pas là synonyme de peu disert. Car toute en retenue, son œuvre parle : de la sculpture, de son rapport au réel, du temps, de l’espace, de l’humain, de la distance et de la proximité… Car d’emblée les œuvres de Ray imposent au spectateur une étrange forme de réalisme qui paraît loin et proche tout à la fois. Comme Aluminium Girl (2003) par exemple, jeune femme nue de petite taille, debout posée sur le sol, sans socle afin de renforcer sa proximité. Elle impose sa nudité frontale et l’expression impassible de son regard qui, sans iris, paraît vide. Entre présence et absence, elle semble vouloir contredire l’aspect stéréotypé des mannequins déployés par l’artiste dans les années 1980 et qui ont contribué à sa renommée. Ou encore Shoe Tie (2012), portrait d’un homme nu accroupi confectionné en acier, occupé à attacher un lacet imaginaire. Entre réalisme du geste et stylisation de certains détails, c’est un étrange rapport qui pour le spectateur se noue avec l’œuvre.
Une nouvelle figuration réaliste
Attaché à des contingences relatives à la taille ou aux proportions, au modelé et à la représentation, le travail de l’artiste s’impose finalement des questionnements relatifs à la sculpture classique et à ses canons, mêlant d’ailleurs dans sa pratique les deux registres de la ronde-bosse et du bas-relief. Le tout en s’interrogeant sur la nature et la manière de la rendre, comme avec Boy with Frog (2009), où ce garçonnet en acier peint en blanc tenant une grenouille apparaît bien plus grand que nature, acquérant ainsi une étrange présence, ou Tractor (2005), engin dont les pièces ont été copiées dans la glaise avant d’être moulées en aluminium : si certaines représentations sont particulièrement fidèles à l’original, d’autres négligent des détails et se font volontiers plus abstraites. Parfois le motif tend vers la dissolution, comme avec Two Boys (2010), grand bas-relief figurant deux visages d’enfants très réalistes, mais qui tendent à se dissoudre à l’approche ou lorsqu’on les regarde de côté. Mais tout ancré qu’elle est dans le réel, l’œuvre de Ray emprunte au théâtre une ambiguïté dans cette perception du sujet, sa proximité et sa mise à distance à la fois, à laquelle le jeu des « couleurs » blanche ou argentée qui couvrent la plupart des pièces n’est pas étranger, de même que l’extrême lissé des surfaces et du fini. Dans les attitudes également, comme sur le bas-relief en fibre de verre Light from the Left (2007), où Ray lui-même est vu en train d’offrir des fleurs à sa femme dans une pose un peu figée et convenue. De même qu’apparaît très scénique la pose prise dans l’instant suspendu de Shoe Tie. Dans les escaliers du Kunstmuseum domine School Play (2014), figure en acier d’un garçonnet impassible aux yeux vides, vêtu d’une toge romaine et portant un poignard dont le dessin laisse deviner l’original en plastique.
In fine, la sculpture de Charles Ray a ceci de formidable qu’à force de subtils accommodements avec le réel elle s’impose comme une véritable entreprise de déstabilisation du regard.
Commissaire : Bernhard Mendes Bürgi
Nombre d’œuvres : 15
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Le coup de théâtre de Charles Ray
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 28 septembre, Kunstmuseum Basel, St. Alban-Graben 8, Basel (Suisse), Museum für Gegenwartskunst, St. Alban-Rheinweg 60, Basel (Suisse), tél. 41 (0) 61 206 62 62, www.kunstmuseum basel.ch, tlj sauf lundi 10h-18h, catalogue éd. Hatje Kantz, 160 p., 39,80 €.
Légendes Photos :
Charles Ray, Shoe Tie, 2012, acier massif, 73 x 74 x 60 cm, collection particulière. Courtesy Matthew Marks Gallery. © Photo : Bryan Krueger.
Charles Ray, Boy with frog, 2009, polyuréthane acrylique et acier inoxidable, 247 x 91 x 96,5 cm, commandée par François Pinault pour figurer à la Pointe de la Douane à Venise - Cette pièce a été depuis remplacée par un réverbère à la Pointe de la Douane - © Photo Jean-Pierre Dalbéra - 2009 - Licence CC BY-SA 3.0 - © Charles Ray. Courtesy Matthew Marks Gallery, New York François Pinault Foundation
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Le coup de théâtre de Charles Ray