À La Galerie, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), Laurent Montaron réussit une exposition cohérente : une promenade dans un développement narratif
mâtiné d’énigme, de suspense, de réel et d’imaginaire. L’artiste répond à nos questions.
Il y a dans votre exposition une sorte de tension diffuse qui s’établit entre les œuvres. Est-ce un effet voulu ?
Si, par tension, vous sous-entendez ambiance, oui, c’est une chose voulue. J’ai souhaité avoir une sorte d’ensemble unifié par l’architecture. J’ai donc redessiné un peu l’espace, obturé des fenêtres et voulu une sorte de scénographie des lumières, qui mette en valeur chaque pièce et permette de guider le visiteur comme je le souhaitais. C’est ce qui crée cette atmosphère un peu… tendue.
Plusieurs œuvres sont issues de votre résidence à New York en 2003-2004. Ce séjour vous
a-t-il apporté quelque chose de nouveau ou de particulier ?
Dans un premier temps, non, car il y a une adaptation nécessaire à une ville étrangère. De plus, à New York il y a une espèce de pression permanente liée à l’argent, qui occupe les gens et fait qu’il est difficile de pénétrer cet environnement-là – surtout quand on est un peu hors contexte, avec une bourse et des conditions de travail idéales. Mais j’y suis resté plus d’un an au lieu des six mois prévus, c’est ce qui m’a permis de travailler.
J’ai eu le temps de réfléchir à des pièces et d’être un peu en dehors des choses, dans un contexte
motivant.
S’est-il produit une sorte de remise à zéro ?
Il y a eu une part d’expérimentation où j’ai pu m’extirper de mon propre travail, repartir sur des choses sans avoir en tête de faire absolument une œuvre. Une sorte de recherche, de rencontre avec des gens, qui, au final, fabrique des œuvres ou des films.
Le temps apparaît être chez vous une chose importante, et son déroulé encore plus. Certaines œuvres jouent sur plusieurs strates temporelles, tel Readings, où l’on observe un décalage entre l’action dans un observatoire et les sous-titres, qui sont des paroles de diseuses de bonne aventure.
Readings est un film qui parle du temps et de la manière dont on se projette dans un futur avec les
diseuses de bonne aventure et la découverte de l’observatoire, qui est une sorte de machine à
remonter le temps. J’ai constaté, en les enregistrant, que les diseuses de bonne aventure parlent plus du passé que de l’avenir. C’est un peu comme une déduction de leur part, de manière à ce que l’on se projette nous aussi dans leur récit. Ensuite, en plaçant cela comme sous-titre du film, j’avais l’idée d’interroger le temps et, à la fois, de laisser le film se réaliser au présent, lorsqu’on lit leur discours en y greffant sa propre expérience.
Dans vos photos, même si l’image est figée, il y a toujours une certaine suspension.
J’essaie de créer une situation avec la personne qui va regarder l’image, de manière à ce que se fabrique une histoire dans son imaginaire, que cela appelle chez elle des choses qui se construisent au présent.
On a l’impression, particulièrement dans les photos, que vous préférez figurer plutôt que montrer ?
Oui, on peut dire cela. Il y a cette idée que, si l’on veut s’approcher de la vérité, il faut s’écarter un peu du réel, tenter de trouver une parabole.
La parabole peut-elle venir via le ressort cinématographique ? Je pense à Spit, qui n’est pas un film mais qui use de codes du cinéma, de par l’installation elle-même et par un aspect assez dramatique de l’image, un suspense.
Le dispositif de Spit est assez minimal. C’est juste une image projetée, « animée » par le mouvement d’un ventilateur passant devant l’objectif du projecteur. Quant à sa lecture, elle est une condition de notre regard contemporain. Nous sommes habitués à la narration cinématographique, ce n’est pas du tout un obstacle à la lecture d’une œuvre. Je n’essaie pas de réinventer de nouvelles mécaniques de narration. Je vais plutôt désosser des principes du cinéma, desquels je me distancie afin d’en extirper l’essentiel. On joue sur le temps, également, parce que l’on met à profit le temps où l’on cherche à comprendre ce que l’on voit pour regarder l’image. Quant au suspense, il est voulu, de manière aussi à ce qu’il y ait un déroulement dans la compréhension de la scène, que ce soit un début. Le suspense est un moyen d’amener une réflexion pour chercher le sens de l’image, même si je n’impose rien.
Vous venez d’employer le mot « compréhension ». Le spectateur doit-il absolument comprendre l’œuvre ?
Ce n’est pas comprendre. Une œuvre n’est complète qu’une fois qu’elle est vue. Quand je fais une image ou un film, ce n’est que 50 % du travail, dont on attend qu’il soit complété par le regard du visiteur.
Jusqu’au 21 janvier 2006, La Galerie, 1, rue Jean-Jaurès, 93134 Noisy-le-Sec, tél. 01 49 42 67 17, tlj sauf dimanche et lundi, 14h-18h (jusqu’à 19h le samedi). Catalogue à paraître à la mi-janvier.
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Laurent Montaron
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°228 du 6 janvier 2006, avec le titre suivant : Laurent Montaron