LOUVAIN (Belgique) - Obsédé qu’il est par des idoles parfois éphémères, le monde de l’art contemporain en néglige certaines évidences. Angus Fairhurst (1966-2008) est de celles-là, dont la disparition brutale a suscité bien peu de commentaires, et pourtant…
Après Arnolfini, à Bristol, M (pour Musée de Louvain) rend un hommage nécessaire et bienvenu à ce membre des Young British Artists, qui, s’il fut moins exposé à la lumière des projecteurs que certains de ses congénères tels Tracey Emin ou Damien Hirst, n’en a pas moins livré un œuvre complexe et varié.
Malgré un parcours très labyrinthique qui ne facilite pas la visite, l’exposition rend bien compte de la créativité de Fairhurst, qui, pour débridée qu’elle soit, n’en dégage pas moins une belle cohérence globale. Une cohérence qui trouve un point d’ancrage dans une dichotomie traversant le travail de part en part, jouant en permanence d’un équilibre subtil entre le cérébral et l’émotionnel, le sublime et l’absurde, le familier et l’étranger, la nature et la culture, la rigueur conceptuelle et la puissance de l’image…
Vacuité de l’image
Cette dichotomie conceptuelle trouve dans beaucoup de travaux une formulation plastique reposant sur la superposition et l’accumulation de couches. Emblématiques de son œuvre, ses collages/découpages de précision (Body and Text Removed, 2003-2007) voient se superposer des pages de magazines ou des affiches publicitaires évidées de leurs corps et textes. Insistant sur une certaine vacuité de l’image contemporaine, ils élaborent un nouveau langage né du vide, qui donne accès à une autre forme de réalité. De même, sont brouillées les nouvelles des unes de six quotidiens britanniques qui, mois par mois, ont été juxtaposées avant d’être imprimées sur de grands panneaux (One Year of the News (1st January-31st December 2003), 2004). Surfant sur la surface des illusions qu’il entame dans leur plus intime profondeur, Fairhurst use du brouillage par surajout comme d’un redoutable outil permettant de densifier la lecture.
L’accrochage donne aussi à revoir la figure du gorille chère à l’artiste, traitée en bronze où l’animal se trouve aux prises avec des situations inattendues, comme la perte d’un bras (A Couple of Differences Between Thinking and Feeling, 2000-2006). Le solide animal fait ainsi montre d’une faiblesse inattendue. Tout comme Fairhust lui-même, se photographiant à la manière d’une pietà renaissante, déclencheur à la main, gisant entre les bras d’un grand singe en peluche (Pieta, 1996). À la fois drôle et perturbante, cette image entre présence et absence insiste sur l’importance, pour l’artiste, de l’écriture des images et sur la nécessité de contrer leur univocité afin d’être en mesure de lire le monde.
jusqu’au 12 septembre, M (Musée de Louvain), 28, Leopold Vanderkelenstraat, Louvain (Belgique), tél. 32 16 27 29 29, www.mleuven.be, tlj sauf lundi 11h-18h, jeudi 11h-22h. Catalogue, co-éd. PWP et Sadie Coles HQ, 144 p., 30 euros, ISBN 978-0-8566-7660-4
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L’ambiguïté d’un monde
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Tom Trevor, directeur du centre d’art contemporain Arnolfini, Bristol (Angleterre)
- Nombre d’œuvres : env. 100
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : L’ambiguïté d’un monde