Le Carré d’Art de Nîmes propose un point de vue sur la production de la vigoureuse scène picturale allemande des quinze dernières années.
NÎMES - Dissipons d’emblée un possible malentendu. Le qualificatif « nouvelle » qui caractérise la peinture allemande dans le titre de cette exposition ne témoigne pas d’une possible renaissance ou d’un retour en grâce de la peinture. Loin des questionnements français stériles sur une possible mort et résurrection de ce médium, il signale simplement que nous avons ici affaire à des productions récentes – celles d’après la chute du mur de Berlin, et même, pour beaucoup, celles des années 2000 –, la peinture n’ayant jamais cessé d’être un poids lourd de la scène artistique outre-Rhin. La démocratisation de l’Est a eu en revanche des incidences en termes de création, imposant Berlin comme une capitale particulièrement active et ouvrant la voie au développement de scènes locales telles Dresde ou Leipzig.
Avec dix-huit artistes et une soixantaine d’œuvres, l’exposition conçue par Françoise Cohen, loin d’éventuelles spécificités géographiques ou d’un parcours chronologique, aborde de front, avec des « atmosphères de salles », un panorama énergique de réalités contrastées, d’où dépassent les figures tutélaires de Martin Kippenberger et Albert Oehlen. Ce dernier s’impose ici, peut-être plus que Kippenberger, comme un référent essentiel des générations suivantes. Sa capacité de renouvellement semble inépuisable, son discours pictural, intarissable et son influence, considérable. Il est étonnant de constater que ses peintures numériques de 2002 (Das Gewicht der Landung, Augen Fliegen), même loin d’être ce qu’il a produit de plus fort, n’ont rien du bidouillage facile pour peintre en mal d’expérience, et tiennent la dragée haute aux pièces d’Anselm Reyle accrochées en face. Avec ses papiers brillants et ses motifs design rebricolés, ce dernier, tout à son exploration de la notion de décoratif, se perd dans son sujet, et ne dépasse pas le registre de l’anecdote tape-à-l’œil. L’exposition fait également la part belle à Daniel Richter. Le choix des œuvres rend compte à merveille de la puissance plastique dégagée par son travail, abstrait autant que figuratif, incroyable de violence contenue comme par une juste tension entre tous les composants du tableau. Souvent, le regard flotte sans parvenir à se fixer, révélant des motifs aux relents oniriques tendant parfois vers le psychotique, tant on perçoit un basculement possible vers un ailleurs socialement menaçant – T.T.S. (Totus Tuus Sum), 1995, Europa, 1999, Baby, 2003.
L’inquiétude et la tension pointent toujours, au-delà des questions formelles qui animent cette scène germanique : le volume et les limites de la peinture – en particulier chez Kippenberger qui, en 1991, introduit dans une série « Sans titre » des excroissances au tableau et utilise le latex –, le format, qui, souvent imposant, se réfère à la peinture d’histoire – surtout chez un Jonathan Meese occupé à remettre en scène le mythe et le génie allemand (Martin v. Essenbeck ist Saalgott, 2003). Dirk Skreber figure les malheurs du monde, tels une gigantesque crue (Sans titre, 2003) ou la préparation d’un attentat (Sans titre, 2005), avec une plastique séduisante, et donc dangereuse parce que banalisant ce qui ne devrait pas l’être. Franz Ackermann développe des réseaux de circulation issus de la seule imagination, dont les couleurs pop, les formes souples et les ondulations ne masquent pas un grouillement insidieux qui confine au vertige. Les dessins prolifiques de Ralf Ziervogel, dans d’hallucinantes compositions dont on perçoit difficilement les limites, soumettent leurs personnages nus à des vexations sexuelles et sociales d’une violence exacerbée, qui, pourtant, prête à sourire. Andreas Hofer choisit la science-fiction et la mutation, l’hybride, l’étrange dans des dessins et peintures de petit format. Et, comme s’il n’y avait plus trop de raison d’espérer aujourd’hui, il s’invente une signature : « Andy Hope 1930 ».
Beaucoup des artistes de la sélection, par leur âpre précision plastique, l’inquiétude de leurs interrogations et la sourde violence qu’elles dégagent, ouvrent un passage menant le regardeur vers une autre dimension… qui n’est rien d’autre que celle de son propre monde.
Jusqu’au 18 septembre, Carré d’Art, place de la Maison-Carrée, 30031 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi, 10h-18h
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L’Allemagne ou la noirceur du monde
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°216 du 27 mai 2005, avec le titre suivant : L’Allemagne ou la noirceur du monde